Critique : Adieu au langage

Simon Riaux | 22 mai 2014
Simon Riaux | 22 mai 2014

Ignoré par le public depuis bientôt un demi-siècle, Jean-Luc Godard jouit encore auprès de quelques dizaines d'indécrottables fanatiques d'une aura des plus palpables. Preuve en est sa sélection en compétition officielle lors du 67ème Festival de Cannes à l'occasion de son énigmatique Adieu au langage, qui devait signer son grand retour, en 3D s'il vous plaît.

S'il ne devrait pas faire bouger les lignes entre les adversaires et admirateurs du plus gros fumeur de cigares de Suisse, Adieu au langage a néanmoins un mérite, celui de cristalliser à la perfection l'état actuel de la filmographie de JLG, que beaucoup considèrent comme perdu pour le cinéma. Ainsi se présente-t-il sous la forme d'une digression d'une heure et dix minutes sur le langage, son sens et sa déréliction, dans un monde ou la multiplicité et l'ubiquité des formes de communication l'appauvrissent et posent la question de sa survivance. De ce thème qui ferait bailler d'ennui un bachelier dyslexique, JLG tire une dissertation de lycéen sous tertian, enfilant avec une belle régularité les plus grossières perles théoriques (Badiou) et quelques excellentes citations philosophico-littéraires décontextualisées. Voilà tout le drame d'un immense cinéaste qui se rêva philosophe du dimanche pour ne parvenir qu'à faire régurgiter à ses acteurs une poignée de vers déracinés, comme autant d'animateurs de MJS en mal de Picon-Bière.

Si le fond d'Adieu au langage embarrasserait même Florian Zeller, la forme se révèle nettement plus intéressante, quoique également insupportable. Au moins sera-t-on gré à Jean-Luc Godard de participer au renouvellement de l'image tridimensionnelle, actuellement définir par les seuls cahiers des charges hollywoodien. Le film s'avère une mine d'inventivité et d'expériences, de perspective jamais vue, de textures numériques délirantes et de perspectives renversées. Hélas, trop cabotin pour se contenter de défricher un terrain encore vierge, Godard use de son art du collage comme d'un aiguillon qu'il plante directement dans l'œil du spectateur. Effet inédit et surprenant certes, mais passablement douloureux. Parce que chaque nouvelle est conçue pour éreinter physiquement le public, le visionnage devient rapidement une épreuve émaillée de considérations existentielles de haut vol (« on est tous égaux dans le caca », assène solennellement un personnage).

Certains apprécieront le canular et comme le réalisateur, se gausseront de l'incrédulité de la majorité des spectateurs ne voyant pas bien pourquoi Adieu au langage se joue d'eux en leur imposant 70 minutes de violence cognitive. Que l'on concède à l'artiste du panache et une relative audace, c'est une chose, considérer que son dernier produit relève du Septième Art plus que du gâtisme terminal en est une autre.

EN BREF : Après Argento, c'est à Godard que revient l'honneur de vider sa couche sur sa Croisette. La cuvée 2014 de la bielle d'auteur se révèle tiède mais piquante.

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