Critique : Gerontophilia

Simon Riaux | 20 mars 2014
Simon Riaux | 20 mars 2014

Bruce LaBruce, héraut d'un cinéma gay underground en lutte contre la domination hétérosexuelle, dont le récent L.A. Zombie n'avait pas convaincu grand monde, nous revient avec Gerontophilia. Premier film de son auteur à être financé, conçu et réalisé via le circuit classique du cinéma canadien, cette histoire d'amour atypique est l'occasion pour le réalisateur de jouer des codes et limitations qu'il se plaisait jusqu'alors à transgresser.


Quand un artiste de la trempe de LaBruce se penche sur la relation humaine et charnelle entre un post-ado angélique et un homme au crépuscule de son existence, rencontré dans une maison de retraite, on se prépare à prendre très cher. Parce que jusqu'à présent, l'œuvre du metteur en scène s'est toujours imposée par sa radicalité autant que son absolue frontalité, traitement dont ce sujet délicat aurait pu souffrir. Mais le film qui nous intéresse fait preuve d'une belle sensibilité et d'une réelle conscience des limites au-delà desquelles il risquerait de s'aliéner le spectateur. La grande force de Gerontophilia est de ne pas craindre la crudité de son récit, de ne pas refuser ni la nudité, ni la proximité des corps, mais de toujours les considérer avec une infinie tendresse.

À la manière de son lumineux héros (l'intrigant Pier-Gabriel Lajoie), le film parvient à nous faire entrevoir la grâce des carnations fanées, la beauté ancienne des rides, sans oublier de traiter l'ambiguité des relations entre les personnages. Lake est-il perdu, amoureux ou simplement fétichiste ? L'ironie de Bruce LaBruce vaut toutes les conjectures, son scénario prenant la forme d'un pied de nez aux attentes du spectateur. Traitée exactement à la manière d'une comédie romantique conventionnelle, cette histoire d'amour à part ne se préoccupe jamais de sa crédibilité et nous impose donc son style affirmé autant que son optimisme à toute épreuve.

C'est ce qui fait de Gerontophilia une œuvre radieuse toujours imprévisible. Son ton décalé, la douce folie de ses situations (Lake et son amant picolant en cachette, un patron de librairie draguant maladroitement une punkette féministe) vont même jusqu'à faire oublier la construction incertaine du récit. Car à ne jamais choisir entre chronique sociétale, road movie avorté et comédie lunaire, Bruce Labruce oublie de fournir de véritable élément perturbateur à son histoire, ou un antagoniste valable à son improbable couple. Et puisque nos deux amants semblent s'aimer sans provoquer de véritables remous autour d'eux, on en oublie presque l'audace du sujet. Ce dernier, malgré le très intelligent traitement que lui réserve le film, méritait beaucoup plus de mordant.


EN BREF : Sacré tour de force que de faire passer ce récit détonnant et cru pour une balade romantique anodine ! Dommage que le scénario ne mette jamais en danger ses personnages.

 

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