Critique : Tonnerre

Nicolas Thys | 21 janvier 2014
Nicolas Thys | 21 janvier 2014
Guillaume Brac avait eu droit, pour ses deux premiers courts-métrages (Le Naufragé et Un monde sans femme), à un traitement exceptionnel puisqu'ils étaient sortis en salle combinés l'un avec l'autre, ce qui est plutôt rare. Les deux films se complétaient parfaitement : un ancrage très provincial avec l'amour comme toile de fond et Vincent Macaigne en acteur principal. Dans Tonnerre, premier long-métrage du cinéaste, ces éléments sont repris. Tonnerre est en fait le nom d'une ville près d'Auxerre et non le bruit de la foudre. Macaigne est toujours présent, fidèle à lui-même, alimentant encore davantage le cliché qu'il représente puisque sa chevelure grasse, son look rebelle et son air meurtri font de lui un musicien en perdition, en voyage sur la terre de son père mais toujours étranger, dans l'espoir d'un renouveau créatif. Et bien sûr, l'amour est sur le devant de la scène avec une histoire tout sauf originale puisqu'il s'agit d'une romance impossible.

Pourtant ce sont souvent avec les histoires les plus simples qu'on fait les meilleurs films et celui-ci n'échappe pas à la règle. On se souvient de la réplique de Ryan Gosling dans Blue valentine : « I feel like men are more romantic than women ». C'est finalement ce qui fera tout le film : une passion qui naît d'un rien, d'une rencontre aussi fragile que furtive avec un abandon et un coup de folie. Mais ce qui fait la force cinématographique de cette romance entre l'acteur et la jeune et jolie Solène Rigot qu'on verra au même moment dans Lulu femme nue de Solveig Anspach, c'est tout ce qu'il y a autour. Les gens qu'ils croisent d'abord, au jeu qui sonne souvent faux, amateur, comme si le couple était hors de tout, ancré dans ce monde qu'ils nous font découvrir et en même temps complètement ailleurs. Ce sont aussi les paysages qui nous plongent dans un univers aussi réaliste qu'étrange, avec la neige et sa blancheur macabre qui recouvre tout l'écran lors d'une promenade en ski, ce lac et cette maison vide qui deviendront une sorte de repère interdit et caché, thème récurrent du mélo comme du polar classique, où la cave mystérieuse où entre des statues où se seraient déroulées des messes noires, ils s'embrassent pour la première fois.

Sans sortir d'un univers naturel, Brac va osciller légèrement entre morbide, onirisme et réalité plate, où tous les moments de joie seront perturbés et les larmes partagées. De ces paysages qui fuient métropole et grandes cités et où l'urbanisme public se résume à une gare, une rue et un immeuble HLM impersonnel dont jamais on ne verra l'intérieur, le cinéaste crée des ambiances qui, comme les êtres qui peuplent le film, chacun avec leurs histoires, leurs traumatismes et leurs déceptions, voudraient embrasser et engloutir Macaigne l'étranger. Tout lui est fantomatique, illusoire, difficile à atteindre comme s'il était une cellule inconnu dans un corps gelé : la véritable histoire de son père, les endroits qu'il fréquente et qu'il réussit avec difficulté à s'approprier, sa chambre austère comme une cellule monacale, le passé de celle qu'il se met à aimer et sa rencontre amoureuse.

Tout ceci culmine lors d'une séquence intermédiaire où la jeune femme semble disparaître, s'évanouir dans la nature pendant un voyage de trois jours. Le réalisateur joue habilement sur le registre de la paranoïa et de la folie sans pour autant sombrer dans l'excès : elle n'est peut-être pas cette forme dans la rue, elle n'est peut-être pas derrière le SMS qu'il reçoit et jamais le téléphone n'aura paru aussi important et impersonnel, brouilleur de piste et enjeu de rencontres. Si on bifurque ensuite dans le drame, le réalisateur observe toujours une forme de tempérance glacée, mortifère. Macaigne pète un plomb mais il ne sombre pas dans des excès et débauches de violences gratuites. Cet être doublement meurtri n'est pas un fou mais un romantique inadapté, pas un dangereux maniaque mais un mec amoureux qui aimerait comprendre ce qui l'entoure, ce qui lui échappe, un monde perdu qui n'est en quelque sorte que son propre reflet.

On a ici une maîtrise totale des éléments, des paysages intérieurs et extérieurs et de la parole. Et si Brac peut s'inspirer d'un cinéma post-Nouvelle Vague (et la filiation est certaine avec le Rozier de Du côté d'Orouët dont il empruntait une certaine idée de la plage dans son précédent film et l'acteur principal, Bernard Ménez, dans celui-ci), il ne cherche pas à calquer les cinéastes mais il prend ancrage dans une multitude de formes et de thèmes différents qu'il parvient à canaliser pour offrir cette autre variation sur l'amour et ses souffrances.

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