Critique : Eka & Natia, chronique d'une jeunesse géorgienne

Nicolas Thys | 26 novembre 2013
Nicolas Thys | 26 novembre 2013
Trop rare sur les écrans, le cinéma géorgien se limitait essentiellement depuis une dizaine d'années dans nos contrées aux films d'Otar Iosseliani qui, par ailleurs, travaille en France depuis 1982. C'est dire si cet Eka & Natia, chronique d'une jeunesse géorgienne, au titre très mal traduit, était attendu. Que nous offre-t-on ? Un portrait d'un pays en crise au début des années 1990 et une histoire aux tendances autobiographiques, comme souvent dans les premiers longs métrages. A tout ceux qui voudraient découvrir l'état d'un pays de l'est peu médiatique juste après la chute du communisme, indépendant depuis 1991 et plongé pour quelques années encore dans des guerres civiles à n'en plus finir, c'est l'occasion. Malheureusement pour ceux qui ne connaissent rien à l'histoire du pays, ce film aura le défaut de sa trop grande subtilité. Davantage de didactisme aurait tué la narration, très linéaire et limpide mais vous ne profiterez que de l'histoire de ces deux adolescentes de 14 ans en perdant une grande partie du socle économique et politique, disséminé au détour d'affiches sur les murs, de quelques dialogues ou de quelques postures.

Mais l'essentiel est là. A travers les regards d'Eka et Natia, nous nous confrontons à un autre monde, normal pour eux, étrange pour nous, où les files d'attente pour le pain sont un passage obligé, où la violence est quotidienne et la révolte indispensable mais impossible. Le fil conducteur du film est d'ailleurs un objet : un pistolet caché et chargé d'une seule balle, symbole d'une tension permanente entre puissance et fragilité, dont on se demande s'il sera utilisé, par qui et comment. Le drame est constant, mais sans trop en faire, souvent sous-jacent voire hors champ : un père en prison, un autre ivrogne, une prof qui ne peut faire cours, des coups fourrés, des enlèvements et des mariages forcés, des jeunesses envolées alors qu'elles n'ont pas encore commencé. Et surtout une envie de hurler qui ne parviendra jamais totalement à sortir de soit.

La grande idée des deux coréalisateurs, Nana Ekvtimishvili, également auteur du script,et Simon Gross, est certainement d'avoir choisi Oleg Mutu comme chef opérateur. Connu pour sa photo somptueuses chez des cinéastes tels que Cristian Mungiu, Cristi Puiu ou Sergei Loznitsa, sa touche est perceptible. L'ensemble est composé de lumières blafardes comme si tout était au passé, recouvert d'un léger voile et en même temps grisonnant comme si le surgissement de toute couleur était impossible, jusqu'au vêtements perdus entre des teintes sombres ou un blanc immaculé. Et c'est également de lui que viennent ces longs plans-séquences en mouvement qui, loin de ne suivre que les acteurs, participent à une forme de déstabilisation en même temps qu'il documente un état du monde. On navigue entre les ruines d'une ville qui peine à se reconstruire et où chaque rue est un piège et une forêt quasi magique dont l'accès se fait par une sorte de téléphérique rouillé qui menace à chaque instant de s'écrouler. C'est dans ce paysage morne aux tonalités morbides mais où l'envie de changer et d'avancer insuffle une bribe d'espoir que se joue Eka & Natia.

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