Critique : Tip Top

Cédric Le Penru | 4 septembre 2013
Cédric Le Penru | 4 septembre 2013

« Mon mari n'est pas boxeur, il joue du violon ». Cette efficace punchline du dernier long de Serge Bozon après La France, Mods… pourrait se prêter malicieusement au détournement pour nous dire que : « Serge Bozon n'est pas réalisateur, il filme des gags. » Car c'est à une étrange tentative (et par beaucoup de savoureux moments, une vraie réussite) de réhabilitation du genre burlesque (si souvent mal aimé et décrié sous nos cieux un peu snobs) vaguement surréaliste à la française à laquelle nous assistons ici. Co-écrit avec Axelle Roppert, sa complice de toujours à l'affiche en ce moment avec Tirez la langue Mademoiselle, Tip Top raconte l'histoire d'une enquête néo-beuf-carrottes (d'inspiration vaguement chabrolienne du Poulet au vinaigre pour la partie policière) dans un utopique bled du Nord mettant en scène deux inspectrices de l'IGS qui débarquent toutes fringantes afin de démêler une sombre affaire d’assassinat d’un indic d'origine algérienne ayant fui la guerre civile de son pays. Ce « cousin » avait pour référent un pandore local (Robert) un peu fou et très obsessionnel, merveilleusement incarné par un Francois Damiens au sommet de son art et plus délirant que jamais. On l’aura bien compris, c'est surtout dans son casting que l'on trouvera la force de cet opus. Isabelle Huppert est brillamment réutilisée dans son meilleur contre-emploi, celui de l'humour, du comique à froid et de l'auto-parodie. Sandrine Kiberlain quant à elle y est plus lunaire et lunatique que jamais.
 
L'investigation de la paire magique va alors devenir un (faible) prétexte pour une série de galerie de portraits plus étranges les uns que les autres avec un journaliste véreux sur la touche, prêt à tout pour revenir à la Une de la télé, un policier pourri et corrompu agissant sans morale pour se sortir de ses problèmes d'argent et bien sûr Robert le flic de terrain très arabophile et solitaire. Dans un pays où le sentiment anti-musulman grandit à longueur de sondages il s'agit ici d'un joli pied de nez à ce climat ambiant de plus en plus nauséabond.

Mais il faut aussi en convenir, Tip Top, dans sa partie dramatique, à l'instar des discours de l'inspecteur incarné par Francois Damiens, n'a ni queue ni tête jusqu’à la guerre civile algérienne des années 90 en toile de fond qui tombe un peu (beaucoup) comme un cheveu sur la soupe. Mais qu'il est amusant et stimulant de voir un travail aussi impoli et peu conforme aux standards normatifs de production contemporains : de l'éclairage quasiment à la truelle façon séries au kilomètre aux cascades qui ont l'air bâclées (tirant vers l'étrange chorégraphie comme dans la séquence d'ouverture) en passant par un son qui gratte un peu l'oreille, les énervés du réalisme, du bon raccord et du vraisemblable peuvent a priori passer leur chemin. Mais pour les autres, les rêveurs, c’est une autre histoire…
 
Dans Buffet Froid, au détour d'un couloir du métro, Michel Serrault se retrouvait avec un couteau planté dans le ventre. Depardieu qui venait de le traiter de « gueule de comptable » sur les quais du RER A (station Défense/Défonce) juste auparavant y retrouvait alors son cran d'arrêt qu'il pensait avoir perdu. Absurde ou non-sens diraient les anglophones ? Non, tout un univers foutraque, avec héros patraques et récit sans logique qui avaient surtout la grande vertu de réenchanter et re-poétiser le monde. Et puis aussi et surtout de ne pas trop se prendre au sérieux.
 
Merci donc à Serge Bozon et à sa scénariste de continuer à creuser le sillon !

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