Critique : Diaz

Christophe Foltzer | 5 juin 2013
Christophe Foltzer | 5 juin 2013

Diaz ne choisit jamais la facilité, ne serait-ce que par son sujet. En se replongeant dans le G8 de 2001, qui a coûté la vie au manifestant Carlo Giuliani, le film fait la lumière sur un évènement effarant, d'une énorme violence, tellement représentatif de la société libérale actuelle et que tout le monde semble avoir oublié : le siège de l'école Diaz-Pascoli, centre de presse du Forum Social de Gênes pendant la manifestation. Ce ne sont pas moins de 300 policiers qui, sur la rumeur d'une présence possible de Black Blocs dans l'établissement, reçoivent pour ordre de charger et de mettre hors d'état de nuire tout ce qui ressemble de près ou de loin à un altermondialiste enragé. S'ensuit un véritable carnage, de nombreux blessés (journalistes comme manifestants) et 93 arrestations (de toutes nationalités), dont la plupart subiront un traitement honteux et dégradant de la part des autorités italiennes avant d'être finalement expulsés du pays. Très peu de policiers seront inquiétés par les accusations qui suivront et, la torture n'étant pas prise en compte en tant que crime dans le système judiciaire italien, tout est bien qui finit bien pour une grande majorité des coupables.

Comme on le voit, le sujet est fort et mérite à lui seul qu'on se déplace. Mais le film en est-il bon pour autant ? Oui et non.

S'il est clairement engagé du côté des alter (bien qu'un personnage de policier soit là pour temporiser le discours), Daniele Vicari évolue constamment à la limite du manichéisme, en nous présentant de multiples manifestants à dreadlocks gentils et propres sur eux, chaleureux et bon vivants, face à une horde quasi anonyme de policiers rigides à la solde d'un pouvoir clairement antipathique. De plus, la multiplicité des personnages ne permet pas une identification à l'un d'eux, donnée pourtant essentielle pour « vivre » la situation. On se retrouve face à des archétypes un peu grossiers, des coquilles vides, ce qui nous prive d'une puissance dramatique certaine.

Autre choix gênant, la multiplicité des points de vue. En optant pour un traitement vaguement inspiré de Rashomon, Vicari ne fait pas montre de la même maîtrise que Kurosawa pour tenir en haleine son spectateur. Ne choisissant jamais vraiment entre le traitement classique et le récit en points de vue successifs, Diaz s'en retrouve déséquilibré et ne convainc pas totalement sur la longueur.

Mais ce qui dérange le plus, c'est cette volonté du réalisateur à vouloir nous indigner, comme s'il voulait nous saturer d'images terribles et injustes pour qu'enfin le déclic se produise chez le spectateur et qu'il foute le feu dès sa sortie du cinéma. Un procédé intéressant mais encore une fois pas maîtrisé puisque, passé l'assaut de l'école (qui est un véritable choc, pour le coup), ce qui suit affaiblit paradoxalement le message parce qu'il est amené avec une subtilité pachydermique, des personnages mal préparés en amont et auxquels nous ne sommes pas attachés au moment où il le faudrait. A un véritable discours sur la légitimité de l'évènement, Daniele Vicari préfère une stratégie de choc qui ne fera malheureusement réfléchir qu'en surface.

Qu'on ne s'y trompe pas pourtant, Diaz n'est pas un mauvais film. Imparfait et un peu grossier, il est servi par une tripotée de comédiens européens tous très convaincants dans leurs rôles. La mise en scène de Vicari force un peu trop à certains moments sur la caméra portée mais sait se faire discrète et lisible lors des temps forts. Parlons-en justement de ces moments chocs : Ils sont impressionnants, très impressionnants. D'une dureté et d'un réalisme troublants, ils prennent à la gorge par leur violence, parfaitement préparés par le reste du film. La tension monte, nous savons ce qui va se passer, nous nous y préparons mais lorsque l'explosion policière a lieu, nous sommes scotchés à notre siège.

Bien sûr nous ne sommes pas au niveau de traumatisme et de crudité d'un Martyrs par exemple, mais ces scènes fonctionnent bel et bien et constituent une expérience intéressante au cinéma.

Au final Diaz mérite qu'on s'y attarde. Ne serait-ce que parce qu'il déchire à pleines dents le rideau bienpensant dans lequel nous nous enveloppons de plus en plus. Ne serait-ce que pour nous rappeler, si besoin, que la situation actuelle est grave et qu'un véritable changement est nécessaire pour le « petit peuple ». Par bien des côtés, aller voir Diaz est un acte militant, une décision presque politique. Et ça, mine de rien, ça fait du bien entre deux comédies françaises à la con et 10 films de super-héros américains.

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