Critique : Heavy girls

Simon Riaux | 10 avril 2013
Simon Riaux | 10 avril 2013

Quand le cinéma allemand s'intéresse à la fin de vie, la solitude et l'homosexualité, on craint à tout le moins de voir débarquer sur les écrans un énième téléfilm verdâtre, prêt à ressasser sans vergogne les archétypes d'une cinématographie teutonne qui n'a rien à envier en la matière à ses homologues franchouillards. Grave erreur. Ce n'est pas pour rien que le Festival Mauvais Genre a sélectionné puis primé lors de son édition 2012 cette singulière pépite intitulée Heavy Girls.

L'absolu dénuement de l'œuvre frappe de prime abord. Lumière plus que naturaliste, découpage lâche, image numérique travaillée mais loin de toute ostentation visuelle : on se retrouve immergé dans une esthétique de l'ascèse qui, notamment dans la première partie du film, rebutera le spectateur non averti. Ce dernier aurait bien tort d'en rester là. Car cette âpreté va petit à petit laisser place à l'humanité débordante d'un improbable trio de personnages. Gâteux, vicieux, cruels, jaloux, amoureux, voyeurs et débonnaires, ces hommes et cette femme reflètent simultanément une frange des populations européennes en voie de marginalisation, ainsi que leur inextinguible humanité. Dans un monde où les sentiments, la tendresse, l'affect semblent avoir été annihilés le grisâtre cancer de la monotonie, chaque défaut, comportement déviant ou faux pas nous saute au visage avec une intensité dérangeante, puis attachante, et finalement irrésistible. Si l'on craint longtemps de voir le récit virer dans le conte faussement post-moderne ou le glauque facile, on admirera finalement l'habileté invraisemblable d'Axel Ranisch, capable de faire cohabiter mauvais goût et finesse avec un doigté qui force le respect.

Il y parvient avec l'aide de ses étonnants acteurs, qui se dénudent, au propre comme au figuré, et se livrent avec autant d'audace que de dignité. On demeure ébahis devant la poésie tordue d'une scène de voyeurisme touchante de maladresse, une soirée costumée qui prendra un drôle de tour, ou une sortie champêtre bien moins innocente qu'elle n'en a l'air. Les comédiens, dont on louera pour une fois l'authenticité toute non-professionnelle, paraissent écrire le film sous nos yeux, d'un regard dérobé, d'un épiderme rougissant, ou d'une bedaine mal dissimulée. Le trio dessine, comme à peine conscient de l'énergie qui se dégage de chacun de ses membres, une élégie de la peau flasque, un poème de l'amour inavoué, une symphonie subvertie.

Touchant, drôle, et dérangeant dans le bon sens du terme, Heavy Girl vient nous rappeler que les moyens les plus humbles ne peuvent jamais assécher la folie d'un auteur, la grâce d'un interprète. Espérons désormais que la forme faussement rebutante, quoique véritablement rugueuse de cette création inclassable ne rebute pas les spectateurs curieux de découvrir un long-métrage à nulle autre pareil, qui brise autant de tabous qu'il piétine de clichés.

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