Critique : Vivan las Antipodas!

Nicolas Thys | 6 mars 2013
Nicolas Thys | 6 mars 2013

Petit rappel d'abord : des antipodes sont des points diamétralement opposés par rapport au centre de la Terre, rares sur la terre ferme car les océans occupent la majeure partie du globe. L'idée, simple mais intéressante, du documentariste russe Victor Kossakovski, est de partir à l'aventure, d'en choisir huit, soit autant de lieux spécifiques, et d'aller les filmer avec leurs particularités, leurs histoires et leur vie propre : Chine/Argentine, Hawaï/Botswana, Russie/Chili, Espagne/Nouvelle-Zélande.

Le résultat forme non pas un documentaire tel qu'on a l'habitude d'en voir de type social, animalier ou « national-géographique » mais quelque chose qui se situe entre l'essai contemplatif et le poème élégiaque, une œuvre étonnante, expérimentale à plus d'un titre, formellement passionnante, et qui nous plonge dans une nature sauvage, au cœur des hommes et du monde sans pourtant tomber dans des dimensions politiques, économiques ou d'un fort militantisme écologique. Les mots sont rares, les images parlent d'elles-mêmes à travers le biais du cinéma et Vivan las antipodes devient juste un film sur le monde qui nous entoure et sur les différents mondes dans ce monde. Car ci et là se déroulent à la fois des dizaines de micro-événements et, en somme, strictement tout et rien : le monde vu de l'intérieur comme un organisme en perpétuel mouvement avec des cellules qui se meurent, d'autres qui naissent. On est face à un film d'observation hypnotique où l'ennui est impossible.

Il s'ouvre sur cette citation d'Alice au pays des merveilles de Lewis Carroll, livre qui s'amuse à conjuguer différentes échelles, différents univers, et des personnages diamétralement opposés eux-aussi mais si proches dans leur folie : « Je me demande si je vais traverser la Terre, ce serait drôle d'arriver parmi ces gens qui marchent la tête en bas ! ». Phrase clé car en plus d'amener les surprises et réflexions qui hantent le film, comme celles des deux frères argentins qui vivent sur un bac, à la jonction de deux segments de terre, elle annonce le projet formel du cinéaste. Kossakovski s'amuse avec les moyens propres du cinéma, de l'incrustation la plus flagrante aux mouvements de caméra les moins utilisés (surtout dans le documentaire), du très gros plan au plan d'ensemble, techniques sophistiquées et primaires, afin de construire un objet aussi étrange que beau fait de rimes, de symétries, de brisures et de correspondances.

La mort n'est jamais loin, la vie non plus. Ici, l'amour est un mot qui s'envole au vent dans des paysages aux teintes vert et ocre entourant le lac Baikal. Là-bas, c'est une baleine échouée qu'il va falloir enterrer. Un chien disparait, un papillon nait, un arc-en-ciel colore le ciel, des gens se posent et pensent, flânent et écoutent le temps perdu. D'autres grouillent en masse comme une fourmilière géante près d'un fleuve qui disparait dans d'inquiétantes effluves brumeuses, véritable cancer du monde. Au final, de ces lignes irréelles, émergent l'impression d'un monde où tous les êtres sont proches dans tous les états possibles : éléphants, lions et humains peuvent cohabiter, les chiens sont des compagnons de vie et les animaux répondent aux individus. Une œuvre poignante, où pourtant rien d'autre ne passe que quelques moments d'existence...

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