Critique : Feeling Minnesota

Jérémy Ponthieux | 9 février 2013
Jérémy Ponthieux | 9 février 2013

Fin 1996 apparaît sur les écrans Fargo. Peuplé d'individus peu adroits et gentiment simplets, le chef d'œuvre des frères Coen jongle avec la notion de fatalité en entraînant les destinées de ses personnages vers une forme d'enfer terrestre. Deux mois plus tard sort en France Feeling Minnesota, premier film de Steven Baigelman qui tente contre son propre gré de reproduire une formule jumelle. La ressemblance, concomitance due au hasard, se présente sur plusieurs tableaux. Premièrement, le cadre éponyme est aussi le lieu de naissance des deux surdoués de frangins, soit le terreau pour une belle brochette de truands à la petite semaine, d'ex-taulards intellectuellement limités et de flics corrompus jusqu'à la moelle.  La scène d'ouverture aiguille en cela le spectateur, entre une mère fuyante, deux frères férocement chamailleurs et de vastes industries grisonnantes. La figure féminine ne tarde pas à apparaître sous toute sa maltraitance, soit chassée par une assemblée de mâles en chaleur soit cueillie par le premier doux regard qui s'affiche. On notera que par souci de cohérence, Baigelman fuit tout glamour mal placé, comme lors d'une scène de mariage aux conventions perverties (mari et femme sous la contrainte, coucher avec son beau-frère...).

Ensuite, c'est le récit tout entier qui se retrouve infusé d'une autodérision quasi-parodique, où les réactions entre personnages sont colériques mais sans gravité. On se menace ainsi beaucoup par injures interposées, mais on s'arrache des bouts d'oreille ou on berne la police sans garnir son casier judiciaire. Cette atmosphère particulière s'avère être autant un pied-de-nez à la bien-pensance hollywoodienne (malgré son casting, Feelling Minnesota est une production 100% indépendante) qu'une manière d'enquiller les scènes conventionnées sans ennuyer son spectateur. Pour autant, n'est pas Joel & Ethan Coen qui veut. C'est à dire qu'une approche aussi périlleuse demande un tact subtil et une faculté à fuir la dispersion. Deux qualités qui font défaut à Baigelman, chef d'orchestre submergé par son envie d'en découdre avec le déjà-vu. Son récit, d'abord attachant et drolatique à la fois, ne tarde pas à multiplier les queues de poisson au mépris du bon sens, pensant pouvoir émouvoir d'une situation qui ne se rapproche d'aucune réalité. Les rapports entre personnages virent doucement à un brouhaha routinier, comme ces deux frangins qui n'en finissent pas de se foutre sur la tronche dans tous les lieux possibles ou ces flingues braqués à tout-va sans réelle nécessité. Incapable de donner du relief à ses divers nœuds dramatiques (dont l'un, formidable doigt d'honneur commercial, s'avère n'être qu'une redoutable boutade), Baigelman choisit d'en rajouter à qui mieux-mieux, perdant l'attention d'une audience toute satisfaite des premiers trois quarts d'heure.

Heureusement, l'apprenti cinéaste peut compter sur son casting quatre étoiles, dont un Vincent D'Onofrio qui a parfaitement saisi l'absurdité des diverses situations et le caractère doucement psychotique de son personnage. Son hystérie caractéristique s'avère être un pendant idéal au regard lunatique de Keanu Reeves, rarement aussi crédible qu'à l'orée de sa carrière. Les deux forment un duo familial crédible et donnent le carburant à un film qui fait l'erreur de brûler sa précieuse énergie sur de trop longs kilomètres. 1996, année de Fargo, pas de Steven Baigelman.

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