Critique : Un, deux, trois, soleil

Jérémy Ponthieux | 3 décembre 2012
Jérémy Ponthieux | 3 décembre 2012

Pour quiconque connaît un peu l'univers de Bertrand Blier, il peut paraître au premier abord étonnant de le voir se plonger tête baissée dans l'univers de la banlieue. Et pas n'importe laquelle, puisque le cinéaste pose sa caméra dans le multiculturalisme bouillonnant de Marseille. Plongé au milieu d'adolescents à la prose si singulière, serait-il possible que Blier l'enragé est rendu les armes ? Point du tout et même bien au contraire puisqu'à l'orée des années 90, le cinéaste caricaturait gentiment la formule provocatrice qui aura fait le sel de ses meilleurs films, et laissait son spectateur en demi-teinte avec ce portrait d'une jeunesse désemparée.

On y suit le parcours de Victorine sur plusieurs années, gamine à qui la vie ne fait pas de cadeau, entre une mère irresponsable, un père alcoolique et un premier amour voyou. Le tout dans un milieu dénué de tendresse, la jeunesse naissante suivant la droite lignée d'une certaine violence paternelle, et livrée à une morale pervertie (la scène de viol initial en témoigne). Sans nier l'énergie puisée d'un tel mélange de cultures, et que l'on retrouve dans des décors à la coloration foisonnante, Blier rend compte d'un désarroi contemporain réel de la part de ces laissés pour compte que la cruauté de la vie isole, dans une rencontre heureuse entre une communauté riche en détresse humaine et un auteur qui n'a eu cesse de radiographier les revers de chacun avec humour. Si cet aspect corrosif de l'auteur est bien là, c'est bien les moments de fragilité qui laissent une marque sur le spectateur, comme cette renaissance corporelle d'enfant ou cet amour doucement forcé. Mieux, le réalisateur offre à Marcello Mastroianni un rôle aux parfums autobiographiques de déracinement terrestre finement composé, et celui-ci lui rend l'appareil dans une scène finale terriblement émouvante, proche de la bouleversante fragilité d'un Beau-Père.

Mais il y a quelque chose qui fait d'Un, Deux, Trois, Soleil un film sensiblement dérangeant. Pas un malaise de conventions bousculées ou d'inquiétudes contemporaines mises à nues. Plutôt une impression d'être entartré par un auteur trop conscient de sa propre formule et transformant ses craintes de pages blanches en provocation malaisée. En témoigne ce « De toute façon, ils ne comprennent rien » déclamé par Anouk Grinberg en aparté caméra, alors même que le public a bien pigé le truc de sa construction scénaristique faussement atypique. Certes, si faire jouer à un acteur le même rôle sur plusieurs décennies peut se révéler être une idée intéressante, le résultat oscille entre l'amusement et la crispation, particulièrement pour la grande Myriam Boyer, en roue libre théâtral. On pourra aussi regretter de voir le côté offensif des dialogues de Blier poussé trop loin, constatation qui s'explique par l'absence réelle de connexions entre les personnages du film. Il est d'ailleurs amusant de constater que c'est dans les caméos, dont un Marielle savoureux, que le long-métrage trouve une saveur bien à lui, comme si les respirations valaient davantage que le corps tout entier. Pas dans les grandes heures de l'artiste, mais recommandable quand même.

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