Critique : Les Invisibles

Nicolas Thys | 28 novembre 2012
Nicolas Thys | 28 novembre 2012

« Et rappelle-toi que tu peux avoir le monde à tes pieds si tu ne te laisses pas abattre par ceux qui te laissent de côté. »

Etrange documentaire à première vue que ces Invisibles de Sébastien Lifshitz scandés aussi bien par des musiques de Bernard Hermann issues de Twilight Zone que par la mélodie au piano de Francis de Cœur de pirate. Le thème ? L'homosexualité chez les personnes âgées. Deux heures en compagnie de plusieurs couples ou personnes seules qui nous parlent d'amour et de vie dans une simplicité déconcertante. Et aucun martyr, aucune tragédie ici. Juste des être humains et la nature, du premier plan : la naissance d'un petit animal déjà fragilisé par la vie qu'il va falloir soigner afin de l'accompagner, aux derniers plans. Une nature jamais sauvage, ni vraiment domptée par l'homme : entre les deux, juste belle et verte avec ses paysages harmonieux qui disent simplement que la campagne n'est pas aussi renfermée sur elle-même qu'on le croit et qu'elle ne diabolise pas ceux qui vivent et pensent différemment. Et des séquences d'intérieurs dans une intimité totale et partagée : un moment dans une étroite cuisine fera immanquablement penser à Amour de Haneke, mais sous un versant heureux avec un sourire aux lèvres qui ne faiblit pas.

Et en même temps, ces musiques font sens car ce que raconte le réalisateur c'est, tout en l'inscrivant dans un cadre réaliste, plusieurs histoires d'amour naïves (certains diront cucul, ceux là ne savent sûrement pas apprécier un monde qui s'ouvre dans toute dans sa simplicité), hors du temps comme si l'on était projeté dans une autre dimension. Pas tant parce qu'on passe du côté d'une sexualité doublement tabou elle concerne à la fois le 3ème âge et des gens de même sexe que parce que dans le carcan anxiogène du cinéma contemporain, qui ne sait plus nous présenter que des dépressifs ou des clowns (c'est-à-dire des dépressifs masqués), le cinéaste dresse le portrait de personnes heureuses. Une bouffée d'air frais dont on avait bien besoin...

Si les plans sont souvent fixes et la forme assez simple, à base d'interviews multiples dans un scope parfait, ils invitent juste à la contemplation et à s'assoir auprès de ceux qu'on voit pour mieux les écouter. Et le bonheur, si singulier et protéiforme qui se dégage de ces quelques individus, saute tellement aux yeux qu'il est difficile de s'attarder à la première vision sur autre chose que cette dimension exceptionnelle. Lifshitz n'a pas tant réalisé un film sur l'homosexualité, sur la question du couple, du non-dit à une époque où personne n'en parlait ni même sur les souffrances que les gens ont pu endurer (en gros, sur nos préjugés), que sur la joie de vivre, la liberté d'expression, le plaisir d'être parvenu à un accomplissement personnel, de s'assumer et d'exister pour soi même après de nombreuses années passées à se cacher parfois.

Finalement, ces êtres si particuliers à l'identité marquée et aux récits uniques, ont une portée universelle en cela qu'ils ont simplement désiré être eux-mêmes et qu'ils se sont trouvés. Peu importait la manière, ils y sont parvenus. Alors malgré un titre qui laisse augurer le pire, et une affiche d'un noir et blanc qui frôle la déprime au premier regard, le réalisateur nous fait passer deux heures magiques avec des personnes qui sont juste belles.

 

« Quand tu ne sais plus quoi dire, tu te mets à pleurer. Mais ça, ton public le voit pas, tu l'incites à rêver, pendant que toi tu le regardes »

Résumé

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