Critique : Un monde sans femmes

Nicolas Thys | 11 novembre 2012
Nicolas Thys | 11 novembre 2012

La première chose étonnante dans Un monde sans femmes, c'est que cet univers est plus féminin que masculin dans le sens où l'on voit presque plus de femmes que d'hommes : la mère et la fille en premier lieu, la femme au bar et la voisine dans les rôles secondaires. Face à ce quatuor : un homme, Sylvain, interprété par un excellent Vincent Macaigne, plus connu au théâtre, et un second rôle masculin. Les autres existent à peine.

Le titre correspondrait finalement tout aussi bien au court-métrage qui l'accompagne : Le Naufragé, qualifié de prologue alors qu'il est bien plus que ça : une entité à part, la première partie d'un diptyque sur la solitude et l'amour. Dans ce court, le même Sylvain vient en aide à un cycliste égaré. Ils parlent de leur relation amoureuse, le premier cherchant maladroitement à aider le second. Et la seule femme est cause de crise.

Le Naufragé amène Un monde sans femmes : son personnage principal, vide et désespéré, marginal et sentimental. Un homme qui cherche à vivre sans trop savoir comment. Et si le premier est très sombre, le second est surtout gris. Le réalisateur, Guillaume Brac, réalise une sorte de film de plage à la française. Pas l'un de ces trucs estivaux, nanars à la Max Pécas ou daube ado comme Hôtel de la plage. Il lorgne plutôt sur les Rohmer et Rozier. Et, étrangement, avec une force supplémentaire : celle de ne pas reproduire les schémas directeurs de films comme Pauline à la plage et de suivre sa propre voie (ou voix ?) : moins bavarde, moins gratuitement psychologisante. Plus tendre aussi, il laisse le temps à la rêverie de prendre son envol. Et il est plus à l'écoute du spectateur : le film trouve son propre rythme, ne cherche pas à tenir cette moyenne conformiste d'une heure et demie et, en durant à peine moins d'une heure, n'ennuie pas un instant. Il n'a pas le temps de perdre son étrange pouvoir de fascination ni cette mélancolie douce-amère.

Tout ça provient de plusieurs éléments qui distinguent Un monde sans femmes de tous les autres. C'est l'été, c'est la plage. Mais qui va en vacances en Picardie pour la plage ? Personne. D'où cette impression de vide constante. Quelques individus vite évacués. Et ce désespoir qui surgit de ces paysages à la fois colorés et mornes : face aux fleurs et à l'herbe vives, tout n'est que nuances de gris, jamais de soleil scintillant, de mer bleue turquoise ni tous ces clichés qu'arbore fièrement le cinéma en général. Les maisons sont presque noires, le sable marron, la mer grisâtre et le ciel tend vers le blanc. Et le grain du 16mm renforce cette impression de saleté mêlée à la beauté inhérente à ces paysages marins : le mouvement perpétuel de l'eau face au roc immuable des falaises.

Et chaque détail est pensé comme à double tranchant. L'appartement loué, parfaitement entretenu face à la bicoque aux murs fendus. A côté d'une ancienne bouilloire qu'on chauffe au gaz, la moderne carafe à eau avec filtre. Et sur les murs de sa prison tant mentale que physique, le poster d'Easy Rider invite à la liberté. Une sorte de yin et de yang qui conduira le quotidien dévasté mais rêveur du fou solitaire vers une sortie aussi voluptueuse que triste.

Dans son genre, Un monde sans femmes est l'une des plus jolies réussites cinématographiques depuis longtemps, la preuve qu'on peut faire du cinéma sensible et intelligent avec peu de moyens, sans être verbeux ni prétentieux. Et en dépassant le cadre désormais convenu de la Nouvelle vague. Avec un simple mélange d'éléments du quotidien, à la limite du documentaire sans l'être vraiment, et de fiction traditionnelle, cette chronique d'un été est simplement belle et touchante. Un voyage dans un état d'esprit...

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