Critique : Avoir 20 ans dans les Aurès

Nicolas Thys | 2 octobre 2012
Nicolas Thys | 2 octobre 2012

Ressortir Avoir 20 ans dans les Aurès en 2012 est tout sauf un hasard. Cinquante ans après la guerre d'Algérie, à un moment de transition où les politiques ne savent toujours pas quoi en dire, ce pamphlet brûlant antimilitariste est plus que jamais d'actualité. Quand il le réalise en 1972, René Vautier, cinéaste engagé, résistant pendant la seconde guerre mondiale puis formé sur les rangs de l'IDHEC (ex-Femis) a déjà une belle carrière derrière lui. Belle mais pratiquement invisible, la plupart de ses films ayant été censurés et lui-même ayant fait de la prison suite à la réalisation de Afrique 50 en 1950, l'un des premiers films anticolonialistes français qui lui vaudra également treize inculpations.

Son activité cinématographique et politique en Algérie ne s'arrête pas là. Il rejoint le maquis et participe à la lutte anticolonialiste dès 1956. En 1962, il est nommé directeur du centre audiovisuel d'Alger et, suite aux difficultés qu'il rencontre pour monter ses projets, il fonde en 1970, l'UPCB, Unité de Production Cinématographique Bretagne, d'où il est originaire. Cette unité lui permettra d'obtenir un budget (dérisoire) pour tourner Avoir 20 ans dans les Aurès : fiction documentarisante autour de la guerre d'Algérie préparée à partir du récit de plusieurs centaines de soldats et de l'expérience de Noël Favrelière, jeune appelé qui désertera en 1956 avant d'être condamné à mort par contumace en 1958 et 1960 puis d'être amnistié en 1966. Il relate son histoire dans Le désert à l'aube, publié aux éditions de Minuit, interdit pendant 14 ans et reparu sous le titre Le Déserteur.

On retrouve dans ce film plusieurs acteurs alors peu connus et dont la renommée arrivera vite. Au premier plan Alexandre Arcady, le protagoniste, mais aussi Philippe Léotard dans un rôle de lieutenant de l'armée rendu d'autant plus monstrueux qu'il a voulu l'interpréter en réaction contre son frère, François Léotard, secrétaire de chancellerie au ministère des Affaires étrangères depuis 1968. On retrouve aussi l'acteur, dramaturge et scénariste Jean-Michel Ribes en curé.

L'ensemble est réalisé avec peu de moyens mais une inventivité énorme et une violence qui semble banalisée. Les décors sont épurés au maximum : quelques roches, le désert, des crevasses et une planque banale, ce qui permet à la fois d'amplifier la cruauté générale et de rehausser le jeu d'acteurs qui semblent empêtrés dans une folie qui se propage au milieu de nulle part et qui gangrène l'œuvre entière. A l'exception de deux personnages, Arcady et Léotard, fidèles à leurs idées d'un bout à l'autre du film, les autres semblent déboussolés. Antimilitaristes au départ, ils se prêtent pourtant au jeu de la guerre jusqu'à exercer des violences sur des civils, se rebeller contre leur chef pour le suivre à nouveau ensuite. Perdus dans une horreur incompréhensible, ils le sont totalement et perdront peu à peu leur humanité. Seul le protagoniste, pacifiste et déserteur, ne semble pas rongé par la haine et réussit à voir en autrui son semblable.

Vautier a déclaré que pour chaque action représentée, au moins cinq personnes pourraient témoigner qu'elles ont effectivement eu lieu. Témoignage vivant, l'un des rares à aborder de front une guerre que le gouvernement français aurait préféré sans image, le réalisateur a encore dû en subir les conséquences. Bien accueilli au festival de Cannes où il a obtenu un prix, il n'a pu aller le chercher lui même ayant dû fuir l'arrivée des gendarmes quelques jours plus tôt sur son lieu d'hébergement !

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