Critique : La Désintégration

Nicolas Thys | 2 septembre 2012
Nicolas Thys | 2 septembre 2012

Depuis le début des années 2000, le cinéma de Philippe Faucon, fait de film d'autant plus forts qu'il sont courts, se préoccupe des minorités religieuses et du communautarisme, de leurs luttes ordinaires quotidiennes, de leur acceptation ou non acceptation, de leurs difficultés dans un modèle social et historique où le racisme semble être omniprésent, et surtout de leur identité. Mais ce qui l'intéresse ce ne sont pas tant les parents que les enfants. Nés en France, ils ont grandi dans une culture mixte : celle de leurs parents, souvent immigrés, et celle qu'on leur inculque dans la vie de tous les jours, dans la rue, à l'école, à la télévision, etc. Une culture double, parfois assumée et alors symbole de liberté, parfois problématique et en conflit permanent, liée à un rejet et à une violence intérieure qui surgit au dehors à force d'être marginalisé.

En 2001, le cinéaste sortait Samia : portrait d'une adolescente en révolte par rapport à sa famille, issue de l'immigration, qu'elle voit s'enliser dans des valeurs traditionnelles qu'elle n'approuve pas. Tempérament de feu, féministe débutante, elle cherchait à s'émanciper d'un patriarcat servile, à l'image de sa sœur partie avec un non musulman et rejetée par ses parents et son frère, loin de leur terre d'origine et dont la rigidité d'esprit semble d'autant plus redoubler : la peur de l'étranger est partout et pousse à des extrêmes tout aussi nauséabond d'un côté comme de l'autre. Samia était plongée dans un cocon dont nul n'aurait le droit de s'enfuir sous peine d'être exclue. Faucon situait son intrigue à Marseille et son dispositif de mise en scène, sombre et direct, parfois à la limite de la claustrophobie, laissait peu respirer le spectateur, le plongeant dans une oppression constante, celle de la jeune fille qui ne savait plus où elle en était et qui étouffait dans ce monde où on lui refusait la liberté de choix et dont elle ne savait se saisir pleinement.

La Désintégration reprend ce schéma directeur pour le confronter à un autre problème, à l'extrême opposé. Le réalisateur s'occupe du processus mental de transformation d'un individu. Situé à l'autre bout du pays, à Lille, toujours dans une banlieue, Philippe Faucon dresse le portrait d'un jeune homme simple qui cherche à s'en sortir. Interprété par Rachid Debouzze, le petit frère de Djamel, Ali a grandi dans une famille équilibrée où la religion est prégnante mais jamais contrainte, construite sur un principe de foi et de liberté individuelle. Lui même n'est pas pieux mais peu à peu, une rencontre avec un homme manipulateur, son combat au quotidien d'où ne ressort que de a discrimination, vont le transformer non en homme de foi mais en rebelle acharné. Il a besoin d'une cause dans laquelle rejeter sa violence et celle-ci va l'amener à rejoindre un cercle à la fois vicieux et extrême.

La discussion avec un professeur lors de l'écriture du CV est exemplaire. Quand la violence prend le pas, qu'elle est impossible à canaliser, qu'on ne voit pas le bout du tunnel, on tend à chercher la solution la plus simple. Elle est aussi souvent la plus radicale. Mais l'objectif du film n'est pas le discours lambda sur l'immigration, son objectif c'est la représentation d'un processus en mouvement : une désintégration aussi physique que psychologique, aussi sociale que politique. « Désintégration ». Le mot et sa graphie rendent compte des problématiques majeures du film : de l'intégration à son contraire. L'intégration c'est ce mot politique, valise et fourre tout, sans définition véritable, employé depuis des lustres comme synonyme de remède à des maux qui n'existent qu'en esprit. Le mot de la facilité qui, s'il était concret, s'il avait un sens, ne verrait pas celui du titre prendre le dessus. Désintégration par contre fait sens : c'est l'annihilation de l'individu qu'on va enfermer dans sa faiblesse en lui inculquant de nouvelles idées qui n'étaient pas les siennes, c'est une double mort : celle de l'esprit et celle du corps.

Alors que Samia cherchait à dépasser une culture étouffante en explosant, Ali s'y enferme et implose. Et la forme entière du film concoure à faire figurer cette désintégration. Dans les deux films les espaces intérieurs sont toujours espaces clos, étroits, froids. La liberté c'est la fuite hors de ce trop plein de murs et de cette géométrie infernale où la profondeur est toujours obscurcie. Ali va la refuser, s'y complaire et les lieux vont encore perdre de leur personnalité, de leur humanité et devenir de plus en plus épurés comme si toute référence à une culture quelconque devait être bannie. De même que les lumières se font plus faibles, les ombres plus fortes et le noir envahit peu à peu l'écran. La montée de la folie et du désespoir s'accompagne d'une forme d'iconoclasme, symbole d'enfermement maladif : l'homme est de plus en plus seul, la caméra se colle à son corps et pourtant, étrangement, il se déshumanise.

La forme est simple, explicite et subtile. Et si la manipulation est centrale, le manichéisme n'est jamais de rigueur, nul n'est ni totalement bon ni totalement mauvais. Mais ils ne se comprennent pas, d'où un quotidien fait de méfiance et de peur qui disparaissent parfois, à l'image de la rencontre d'une mère musulmane avec la femme de son fils catholique, ou non, comme le regard de cette femme dans le métro regardant Ali qui lit le coran : du dédain mêlé d'incompréhension, une vision de tous les jours qui nous met face à nous-même. Et chaque étape du processus de désintégration est bien présente, jusqu'à quelques clichés incontournables avec l'arrivée de la police par exemple. On est bien loin du documentaire, mais la réalité frappe en plein visage. Et c'est ce qui importe...

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