Critique : Le Frère du guerrier
Au vu de l'histoire,
on comprend parfaitement les ambitions de Pierre Jolivet et son co-scénariste
Simon Michaël (déjà complices sur Ma petite entreprise) : mettre en
opposition deux optiques, solutions radicalement différentes pour survivre dans
un monde violent et dur alors en pleine mutation. D'un côté la continuité des
temps féodaux que constitue l'utilisation de la force et des armes, personnifié
par Thomas le guerrier et de l'autre la volonté de s'adapter, d'évoluer pour
exister dans cette société qui ne laisse que peu de chances aux faibles, aux
démunis, évolution qu'a parfaitement compris la vraie héroïne du film,
Guillemette. Mais cette ambitieuse volonté scénaristique passe t-elle vraiment
sur l'écran ?
Oui mais pas complètement. Si dans la dernière partie, de loin la plus réussie
du film, Jolivet parvient à traiter complètement les thèmes sous-jacents au
récit tout en évoquant pour la première fois explicitement l'amitié
fraternelle, la juxtaposition des niveaux de lecture, où les différents
éléments du récit se confondent pour ne plus faire qu'un, met du temps à
prendre, laissant le spectateur quelque peu dubitatif.
Le récit est d'autant plus ardu à suivre que sous ses (fausses) allures
d'épopée médiévale, Le frère du guerrier est un film austère, épuré qui
joue volontairement la carte de l'économie de moyens, de gestes et de paroles,
à l'image d'une époque encore frustre qui commence tout juste à s'éclairer. Si
le film est ainsi traversé de fulgurances très impressionnantes par leur
maîtrise formelle (on pense à l'ouverture où en quelques gestes, brefs coups
d'éclat, le personnage de Thomas est idéalement cerné ou encore à cette
chevauchée éperdue du même Thomas pour rattraper et tuer l'un des brigands qui
ont attaqué son frère), le reste du temps, Jolivet s'évertue à décortiquer les
liens qui unissent les membres de la ferme, s'enfermant ainsi dans une
narration hermétique et répétitive qui menace à tout moment de lasser son
audience. D'ailleurs, on a bien du mal à comprendre et à pardonner au Frère
du guerrier sa déficience de rythme et la présence de longueurs
incontestables quand on s'attarde sur sa durée qui frise les deux heures alors que le réalisateur n'a que très rarement dépassé l'heure et demie
pour ses précédents films.
L'autre point noir et il est de taille,
empêchant le film d'être une réussite incontestable, c'est la qualité de
l'interprétation. A l'image de François Berléand, vieux complice du cinéaste
(il joue dans tous ses films sauf Force majeure) d'habitude toujours
excellent et truculent, et ici visiblement peu à l'aise dans le rôle du curé
cherchant à cacher la connaissance (le livre de recettes médicales) pour mieux
contrôler ses fidèles paroissiens, le casting a du mal à trouver chaussure à
son pied. Si Vincent Lindon s'en sort honorablement non sans parfois être
complètement à côté de la plaque (on aurait vraiment préféré Gérard Lanvin, physiquement
plus crédible en guerrier implacable), ce n'est absolument pas le cas de son «
frère », Guillaume Canet qui il est vrai d'un rôle casse gueule d'amnésique (il
passe plus de la moitié du film à errer avec un regard totalement vide) sombre
dans le ridicule.
Heureusement, Mélanie Doutey rattrape pour
beaucoup les erreurs de la distribution par un abattage, une sensibilité et une
conviction de tous les instants.
Si le film souffre incontestablement de ses faiblesses, il a pour lui la
technique hors pair du cinéaste. Utilisant le cinémascope comme peu savent le
faire en France, Jolivet tire magnifiquement partie de décors naturels à la beauté
virginale époustouflante. Lorsque l'action s'emballe, il démontre une réelle
habilité à retranscrire la violence des affrontements. A ce titre, le climax
final, concis et rapide, possède une implacable efficacité qui le rend
proprement fascinant.
Malgré ses imperfections, Le frère du guerrier séduit par la richesse de
son propos, la brillance de sa reconstitution et l'aisance formelle de sa mise
en scène. Il confirme que Pierre Jolivet est un cinéaste qui compte dans le
paysage cinématographique français, un cinéaste atypique à contre courant de cette
vague de jeunes réalisateurs avant tout préoccupés par l'aspect formel, un
cinéaste qui sait mettre en adéquation justement forme et fond. Ce n'est pas courant à l'heure actuelle.
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