Critique : Le Frère du guerrier

Laurent Pécha | 13 juillet 2007
Laurent Pécha | 13 juillet 2007

Au vu de l'histoire, on comprend parfaitement les ambitions de Pierre Jolivet et son co-scénariste Simon Michaël (déjà complices sur Ma petite entreprise) : mettre en opposition deux optiques, solutions radicalement différentes pour survivre dans un monde violent et dur alors en pleine mutation. D'un côté la continuité des temps féodaux que constitue l'utilisation de la force et des armes, personnifié par Thomas le guerrier et de l'autre la volonté de s'adapter, d'évoluer pour exister dans cette société qui ne laisse que peu de chances aux faibles, aux démunis, évolution qu'a parfaitement compris la vraie héroïne du film, Guillemette. Mais cette ambitieuse volonté scénaristique passe t-elle vraiment sur l'écran ?

Oui mais pas complètement. Si dans la dernière partie, de loin la plus réussie du film, Jolivet parvient à traiter complètement les thèmes sous-jacents au récit tout en évoquant pour la première fois explicitement l'amitié fraternelle, la juxtaposition des niveaux de lecture, où les différents éléments du récit se confondent pour ne plus faire qu'un, met du temps à prendre, laissant le spectateur quelque peu dubitatif.

Le récit est d'autant plus ardu à suivre que sous ses (fausses) allures d'épopée médiévale, Le frère du guerrier est un film austère, épuré qui joue volontairement la carte de l'économie de moyens, de gestes et de paroles, à l'image d'une époque encore frustre qui commence tout juste à s'éclairer. Si le film est ainsi traversé de fulgurances très impressionnantes par leur maîtrise formelle (on pense à l'ouverture où en quelques gestes, brefs coups d'éclat, le personnage de Thomas est idéalement cerné ou encore à cette chevauchée éperdue du même Thomas pour rattraper et tuer l'un des brigands qui ont attaqué son frère), le reste du temps, Jolivet s'évertue à décortiquer les liens qui unissent les membres de la ferme, s'enfermant ainsi dans une narration hermétique et répétitive qui menace à tout moment de lasser son audience. D'ailleurs, on a bien du mal à comprendre et à pardonner au Frère du guerrier sa déficience de rythme et la présence de longueurs incontestables quand on s'attarde sur sa durée qui frise les deux heures alors que le réalisateur n'a que très rarement dépassé l'heure et demie pour ses précédents films.

L'autre point noir et il est de taille, empêchant le film d'être une réussite incontestable, c'est la qualité de l'interprétation. A l'image de François Berléand, vieux complice du cinéaste (il joue dans tous ses films sauf Force majeure) d'habitude toujours excellent et truculent, et ici visiblement peu à l'aise dans le rôle du curé cherchant à cacher la connaissance (le livre de recettes médicales) pour mieux contrôler ses fidèles paroissiens, le casting a du mal à trouver chaussure à son pied. Si Vincent Lindon s'en sort honorablement non sans parfois être complètement à côté de la plaque (on aurait vraiment préféré Gérard Lanvin, physiquement plus crédible en guerrier implacable), ce n'est absolument pas le cas de son « frère », Guillaume Canet qui il est vrai d'un rôle casse gueule d'amnésique (il passe plus de la moitié du film à errer avec un regard totalement vide) sombre dans le ridicule. Heureusement, Mélanie Doutey rattrape pour beaucoup les erreurs de la distribution par un abattage, une sensibilité et une conviction de tous les instants.

Si le film souffre incontestablement de ses faiblesses, il a pour lui la technique hors pair du cinéaste. Utilisant le cinémascope comme peu savent le faire en France, Jolivet tire magnifiquement partie de décors naturels à la beauté virginale époustouflante. Lorsque l'action s'emballe, il démontre une réelle habilité à retranscrire la violence des affrontements. A ce titre, le climax final, concis et rapide, possède une implacable efficacité qui le rend proprement fascinant.

Malgré ses imperfections, Le frère du guerrier séduit par la richesse de son propos, la brillance de sa reconstitution et l'aisance formelle de sa mise en scène. Il confirme que Pierre Jolivet est un cinéaste qui compte dans le paysage cinématographique français, un cinéaste atypique à contre courant de cette vague de jeunes réalisateurs avant tout préoccupés par l'aspect formel, un cinéaste qui sait mettre en adéquation justement forme et fond. Ce n'est pas courant à l'heure actuelle.

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