Critique : The Dirty Picture

Marjolaine Gout | 2 juillet 2012
Marjolaine Gout | 2 juillet 2012

Question textile, il fut un temps où les Vamps indiennes pouvaient concourir avec les échoppes  d'étoffes les mieux achalandées. En Inde, les noms de scène évoquaient ainsi  les tissus enveloppant ces starlettes.  Polyester Padmini, Nylon Nandini, Rayon Revathi, Cotton Kamini... autant dire que le pays parlait tricot et en connaissait un bout en filage. Que ce soit de la fibre naturelle, plastique ou synthétique, il y en avait pour tous les goûts ! Bien entendu, Gandhi était passé par là avec son rouet. Mais quand le cinéma eut la fièvre pour les bobines de fils autant dire que ces pseudonymes n'avaient rien à voir avec un acte de rébellion contre la tutelle britannique d'antan, mais, davantage avec l'érotisme insufflé par leur porteuse. La présence d'une de ces vamps dans un long-métrage, présageait sexualité et sensualité. Et au panthéon de ces vamps, l'actrice tamoule Silk Smitha surclassait toute la concurrence. En même temps, face au coton ou au polyester, la soie supplante toujours ses adversaires !  The Dirty Picture conte ainsi l'ascension et la déchéance d'une starlette, inspirée librement de la vie de la célèbre Smitha Silk, connue pour ses numéros de danse à l'écran. Pour ne point être dépaysé, Madras sert ici de toile de fond à ce récit brodé entre hommage, farce et mélodrame.

Au début des années 1990, Milan Luthria, le metteur en scène, alors assistant, croise Silk Smitha sur les plateaux de tournage de Mahesh Bhatt. Celle-ci, déjà rongée par l'alcool, dépitée par l'exploitation de son corps et la célébrité, témoigne de sa détresse. Ambitieux, ce projet s'attèle à la tâche de représenter la vie et les combats de cette star et des autres. Certes, si Milan a pu rencontrer certaines de ces vamps, sa mise en scène reste ampoulée et fébrile. L'ensemble souffre d'un excès de punchlines, ponctuées par une musique omniprésente et tout aussi ubiquiste tout au long du récit. Pourtant, le duo de compositeurs Vishal-Shekhar, connus pour leur savoir-faire à créer des mélodies rétro, perd de sa superbe avec la réitération de leurs mélodies. La musique phare du film, reprise de Ui Amma tiré de Mawaali (1983) et la rythmique du dhol, tendent à saturer. Bien sûr, l'intérêt du film ne réside pas dans ces faiblesses ni sur le réalisme de son univers, entre salle de cinéma ou plateaux de tournage. La clef de voûte s'incarne avec la virtuose Vidya Balan, l'actrice principale, ici, désinhibée et vibrante.

Ce sujet délicat, lancé par la productrice Ekta Kapoor, s'inscrit dans les années 80. Un formatage esthétique fut ainsi entrepris. En ces temps jadis, les canons de beauté, proches de ceux d'Ingres, étaient plantureux. Vidya s'est ainsi sculptée une silhouette d'Odalisque. Sex-symbol désinvolte, libidineuse, grivoise, pétillante, elle incarne la star par excellence et la star déchue avec magnificence. Ce personnage, décapant, tonitruant,  se bat, avec audace, envers et contre une société qui la dénigre. Une critique sévère de l'industrie du film, des médias, de ses consommateurs, apparaît. Comme le dit si bien Silk (Vidya) : «  il faut trois choses pour vendre un film : divertissement, divertissement, divertissement. Et je suis le divertissement.». L'industrie, obsédée par les résultats des longs-métrages au box-office et le profit, propose des interludes suggestifs, gageüre de distraction hautement rentable. Malheureusement, la profession et la société rejettent la vamp, consacrée sur les écrans et paria en dehors des salles obscures. Le personnage de Vidya se moque des perceptions en épousant sa sensualité et son rôle avec aplomb jusqu'à ce qu'elle chute et que personne ne l'aide à se relever comme la met en garde sa mère, en exergue, lui soulignant les dangers de la ville.

Hommage et critique acérée à l'égard du cinéma, ce film vitupère tout autant à l'égard de la société indienne. The Dirty Picture ébranle, émeut, en devenant le porte-parole de ces vamps ayant tenté à leur manière de secouer les conventions sociales. Les nouvelles recrues officient dorénavant sous le sobriquet d'  « Item girl » et ne récoltent plus l'opprobre en exhibant leurs courbes. Certes, elles continuent à déchaîner le public masculin, à l'instar de Katrina Kaif sur Chikni Chameli, tirée d'Agneepath (2012). Mais ces nouvelles vamps peuvent remercier les Silk qui ont donné de leur chair et sacrifié leurs vies, en jouant avec les feux de la rampe. Ce film à performance éblouit grâce à trois atouts incomparables : Vidya Balan, Vidya Balan, Vidya Balan !

 

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