Critique : Trishna

Simon Riaux | 7 juin 2012
Simon Riaux | 7 juin 2012
Michael Winterbottom est un de ces artistes qu'il semble bien difficile de définir autrement que par son étonnant éclectisme et sa constante quête de thèmes et de formes à fusionner. Inégal mais passionnant, le réalisateur nous aura livré ces dernières années des créations aussi différentes qu'une balade désenchantée dans la lande britanniques (The Trip), un documentaire éclairé et éclairant (La Stratégie du choc), ou encore un portrait de psychopathe pas piqué des vers (The Killer inside me), avec des réussites inégales. C'est donc avec un sincère mélange de curiosité et d'appréhension qu'on attendait de le voir nous servir sa version de Tess D'Urberville à la sauce indienne, intitulée Trishna.

La tâche pouvait sembler infiniment complexe quant à transposer un des sommets de la littérature britannique du XIXème siècle dans l'Inde contemporaine, mais force est de constater que le réalisateur s'est adonné à la tâche non seulement avec passion, mais surtout avec un soin et une intelligence remarquable. La raison pour laquelle il a choisi l'avant-dernier roman de Thomas Hardy devient rapidement évidente. Si le texte a été critiqué lors de sa publication pour sa description sans fard des mœurs sexuelles de l'époque, ce sont les sous-textes politiques et sociaux qui font ici sens, et répondent parfaitement au texte original. Car plus que les passions des personnages, ce sont les révolutions à l'œuvre dans la société, alors en pleine révolution industrielle, qui se mettront sur le chemin des personnages. Tandis que Krishna souffre de comprendre les changements à l'œuvre dans le pays qui est le sien, alors qu'elle ne peut tout à fait rompre avec ses origines et leur tradition, son amant Jay, lui, découvre petit à petit que s'il tient à son statut de golden boy d'un genre nouveau, la coutume lui confère un pouvoir et un ascendant sur sa femme auquel il lui sera bien dur de renoncer. Des tensions qui sont encore accentuées par le choix de Winterbottom de fondre les deux personnages masculins du roman en un seul, qui gagne alors en complexité et ambiguité alors que le récit le met face à ses contradictions.

Mais Trishna n'est pas seulement l'adaptation intelligente d'un grand texte, et s'avère surtout une romance tour à tour sombre et lumineuse, que portent sur leurs épaules deux acteurs au sommet de leur art. On aura abondamment moqué la tendance à la poticherie stérile de Freida Pinto, la comédienne vient ici rappeler de la plus belle des manières qu'il lui suffit d'un regard vacillant, d'un sourire dérobé ou d'un frémissement électrique pour fasciner instantanément. Elle compose par petites touches une jeune déchirée entre un monde auquel elle n'appartient déjà plus, et un autre qui ne voudra jamais tout à fait d'elle. Comme Hardy avant lui, le réalisateur se garde bien de nous livrer les clefs de ce personnage dont les conflits ne font que poindre, comme autant de guerres intérieures, d'affolants affleurements. Qu'un rayon de soleil, capturé à la perfection par la photographie de Marcel Zyskind, s'attarde sur sa peau ambrée, et l'image se charge d'une multitude de nuances dans lesquelles la mise en scène puise un tragique sensuel, une valse des corps et de la chair passionnée et fatale. Quant à Riz Ahmed, hilarant dans We Are four Lions, ridicule dans Or Noir, il révèle ici une palette de jeu admirable, sait éviter tous les écueils d'un personnage qui aurait pu n'être qu'un sale gosse pourri gâté, et parvient à en faire un enfant perdu, fasciné et troublé par une femme à laquelle il promet une vie qu'il ne saurait assumer, écrasé par un père, roi et aveugle, généreux mais inconséquent.

Le rythme du film joue malheureusement un peu contre lui dans sa dernière bobine, où éclate et fait sens l'arsenal symbolique patiemment disséminé pendant tout le film, au risque de nous anesthésier un peu après la frénésie de la parenthèse dédiée à Bombay. On ne pourra pas reprocher au metteur en scène de chercher à donner du poids à son fatal arc narratif en permettant au découpage et au montage de souffler alors que les personnages retrouvent le Rajasthan, mais force est de constater que la fausse quiétude dans laquelle s'achève ce drame joue légèrement contre l'impact émotionnel de l'ensemble. Reste tout de même cet immense mérite de nous donner, après des années de reportages et autres documentaires sur l'essor indien et ses contradictions, non pas de quoi comprendre les enjeux de cette transformation radicale, mais de quoi les ressentir intimement, et d'épouser durant 108 minutes, les aspirations et désillusions d'un génération pour laquelle tout sera allé trop vite, trop fort.

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