Critique : Couleur de peau : miel

Nicolas Thys | 5 juin 2012
Nicolas Thys | 5 juin 2012

Jung Hénin est avant tout un auteur de bandes dessinées. On lui doit des titres comme Kwaïdan, La Jeune fille et le vent, Yasuda. Ou encore Couleur de peau : miel, devenu aujourd'hui son premier film, co-réalisé avec Laurent Boileau, qui n'avait jusque là réalisé que des documentaires sur la BD. L'idée d'un film à 4 mains avec un documentariste est une idée lumineuse. En effet, l'ouvrage est autobiographique, tiré de son expérience d'enfant coréen adopté par une famille belge en 1971 et perpétuellement à la recherche de ses racines. Le film se situe donc dans la lignée des docu animés qu'on voit fleurir depuis quelques années (Ryan de Chris Landreth, Valse avec Bachir, Persepolis) avec de très belles idées de mises en scène.

La première vient du découpage de la narration qui entremêle prises de vues réelles et animation, le passé de la Corée et l'enfance de Jung avec son présent, un voyage dans son pays natal d'où il espère tirer quelques renseignements sur son histoire personnelle. De la Corée à l'arrivée en Belgique, tout est images d'archive, petits films en noir et blanc, historiques ou familiaux, souvent du 8mm, avec la voix de Jung Hénin par-dessus qui relie l'ensemble à sa propre vie. Son présent n'est pas non plus animé : La Corée est montrée frontalement, souvent dans de longs plans fixes, avec les déambulations de l'auteur, comme s'il arrivait dans un autre monde, le monde de ces images d'archives enfin actualisé. Il aura simplement décrit et romancé, voire fantasmé son enfance avec l'animation, la partie la plus importante du film, de la 3D au rendu 2D typé aquarelle, à la fois proche et détachée du roman graphique originel, avant de se confronter à une réalité qui le hante depuis toujours.

Mais quelques passages, des entre-deux, viennent se greffer à l'ensemble, des rêves qu'il a pu faire enfant ou adolescent qui perturbent aussi bien l'animation que le film live. De l'animation fluide aux mouvements travaillés à de la réalité plus fixe où seul le monde se meut, les séquences rêves offrent une animation saccadée et quelques effets de réalité onirique aux mouvements amples. Ces images viennent se cristalliser dans son esprit et s'échapper de ses univers de référence : souvenirs, désirs, peurs et souffrances. L'effet est simple mais original et sans faille. Et, tout comme Jung avait su inventer un langage graphique propre à la bande dessinée dans son ouvrage pour mettre en image son histoire, les réalisateurs sont parvenus à s'en détacher pour trouver la forme cinématographique idéale, la plus à même de nous entrainer dans son existence, sa quête et ses tourments.

Et même si on pourrait croire que le récit ne toucherait qu'une infime partie de la population, celle qui se reconnaitra dans ce personnage d'enfant adopté, abandonné, déraciné, ce n'est pas le cas. L'intérêt est d'avoir su mêler deux histoires : la grande, celle d'une Asie déchirée et la petite, familiale, celle du quotidien d'une famille un peu différente mais pas tant que ça. L'histoire d'une famille aimante, parfois maladroite mais présente à laquelle il rend hommage. Et celle d'une famille coréenne à jamais enfuie, disparue, imaginée et imagée à laquelle il accorde son pardon. La voix, les archives comme l'animation d'une grâce exquise, confiée en partie à Zoltan Horvath, l'un des jeunes animateurs suisses les plus brillants, auteur de plusieurs courts remarqués, nous font pénétrer dans cet univers d'une puissance émotionnelle rare.

Couleur de peau : miel est le long métrage d'animation incontournable, un film important, différent des autres films mémoriels, et des autres adaptations de BD. Ses qualités plastiques sont indéniables et elles parviennent à faire d'un univers typé et particulier une œuvre universelle.

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