Critique : Enfance clandestine

Stéphane Argentin | 27 mai 2012
Stéphane Argentin | 27 mai 2012

Sur l'ensemble des films latinos vus à Cannes cette année (mexicains, espagnols, argentins...), Enfance clandestine est sans conteste le plus brillant à tout point de vue : scénario, mise en scène, interprétation... Soit une sacrée réussite pour ce premier long-métrage de fiction signé Benjamín Ávila. Bien qu'inspiré de sa propre enfance, le cinéaste « ne voulait pas d'un film autobiographique ». Il souhaitait « se servir de ce qu'il avait vécu pour revisiter l'histoire de la dernière dictature en Argentine entre 1976 et 1983 de son point de vue d'enfant et raconter une histoire d'amour entre gamins et parler ainsi du militantisme de cette époque où la peur côtoyait la joie, l'amour et la passion ». 

Cette note d'intention (comme on les appelle communément) du réalisateur résume à merveille le contenu du film. Mais encore fallait-il faire preuve d'un certain talent pour savoir emballer le tout. Ce qui est précisément le cas ici. Ainsi l'approche à hauteur d'enfant confère-t-elle une simplicité pédagogique, évitant d'en faire un simple long-métrage militant hermétique à toute personne qui ne connaitrait rien (ou si peu) à ce pan de l'Histoire du pays. Présent dans toutes les scènes, soit en tant qu'acteur soit en tant que spectateur, le jeune Juan est ainsi le témoin d'évènements qu'il ne comprend pas toujours mais qui lui sont expliqués par ses proches (son père, sa mère et son oncle).

C'est ainsi que le film va suivre pour quelques semaines / mois la double vie de Juan / Ernesto. D'un côté la vraie, celle de Juan, où le gamin découvre ce monde d'adultes fait de convictions politiques, d'actions militantes et des pressions / représailles qui en découlent. Soit autant de séquences au cours desquelles le spectateur va retenir son souffle de peur de voir Juan et toute sa famille se faire arrêter / tuer avant d'être subjugué par la beauté de la séquence onirique qui suit. De l'autre, la fausse, celle d'Ernesto où le cœur du jeune homme va également battre, cette fois d'amour, au contact de la jolie Maria. Mais faute de pouvoir être 100% lui-même de peur de trahir les siens, c'est donc le cœur du spectateur qui va battre doublement pour celui de Juan / Ernesto.

Soit une double vie bien difficile à assumer du haut de ses 12 ans pour ce gamin et autant de sentiments contradictoires. Des sentiments restitués avec force conviction par les interprètes au fil d'un récit d'une grande cohérence, illustré par une mise en scène d'une incroyable maîtrise où la délicatesse des mouvements de caméra lors de certaines séquences le dispute au montage plus nerveux d'autres, mais toujours avec une fluidité exemplaire. À la fois simple, touchant et très fort sur le plan politique, Enfance clandestine fait preuve d'une maestria formelle et narrative qui force d'autant plus le respect et l'admiration qu'il s'agit là du premier long-métrage de Benjamín Ávila. On rage donc de voir que ce film magistral est reparti bredouille du Festival de Cannes 2012 mais il faudra, à n'en pas douter, retenir le nom de ce cinéaste argentin pour les années à venir.

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