Critique : La Pirogue
La chronique de cet exil vers un monde autre plutôt que meilleur aurait n'être qu'un énième film destiné à panser des plaies, témoigner sincèrement mais un peu naïvement des souffrances d'autrui. Et le long-métrage de Moussa Touré accomplit largement cette mission, tout en ayant l'intelligence de ne pas s'y limiter. En effet, le pathos est absent de cette aventure cruelle, et si compassion il y a, elle ne pourra venir que du public, le film se gardant bien de lui tendre le mouchoir pour pleurer, préférant l'analyse des faits plutôt que le chantage émotionnel. La Pirogue permet ainsi au spectateur occidental non pas de comprendre les mécanismes de cette immigration sauvage (ils le sont depuis belle lurette) mais donne à ressentir une part de l'urgence et la terrible absence de choix vécue par les migrants.
Aussi sobrement filmé, qu'élégamment photographié le long-métrage parvient à se renouveler régulièrement dans sa forme, retranscrit la claustration sans nous enfermer, respecte son unité de temps et de lieu sans perdre en ampleur. Une entreprise loin d'être gagnée sur le papier, et qui achève de faire de cette œuvre qu'on n'attendait pas vraiment une de ces pépites essentielles à la compréhension d'un monde qui va chaque jour en se complexifiant, et où rationalité et humanisme semblent irréconciliables.
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