Holy Motors : critique nébuleuse

Simon Riaux | 23 mai 2012 - MAJ : 16/05/2019 11:00
Simon Riaux | 23 mai 2012 - MAJ : 16/05/2019 11:00

La lecture du nébuleux synopsis de Holy Motors devrait vous éclairer sur la défiance qui fut la nôtre avant de découvrir le dernier film de Leos Carax. Sur le papier, tout était réuni pour nous faire fuir : nombrilisme revendiqué, récit volontairement obscur, ambitions métas proclamées haut et fort... Et si l'œuvre qui a littéralement électrisé la soixante-cinquième édition du festival de Cannes s'avère tout à fait fidèle à la note d'intention ci-dessus, elle prend à revers chacune de nos craintes, se joue de tous les pièges tendus par une feuille de route délirante. Une gageure quand on sait de quel enfer revient son auteur.

Depuis maintenant presque quinze ans, Leos Carax n'était pas seulement un cinéaste maudit, il était également un artiste perdu, mort pour la profession, qui ne daignait même plus en faire ses choux gras. D'abord porté aux nues, puis acclamé après ses deux premiers films, il sortit éreinté du tournage cauchemardesque des Amants de Pont-neuf. Ce dernier connut non seulement une gestation émaillée d'incidents et de catastrophes techniques, un accueil critique glacial, avant d'être boudé par le public. Essoré, Carax devait rater la Palme d'Or d'un poil de juré avec Pola X, lequel connu un sort encore plus impitoyable que sa précédente création.

Sa relation avec les médias et le public passa alors de houleuse à franchement conflictuelle, et la nouvelle sensation frenchie de tomber lentement dans l'oubli (relatif il est vrai), une zone grise dont même le segment qu'il signa de Tokyo ! ne put le sortir. Pas plus malins que nos petits camarades, un retour en grâce de l'ex-prodige devenu terrible enfant ne nous paraissait pas d'actualité. Il semble néanmoins que l'heure soit venue de rendre à César ce qui lui appartient et de déposer à ses pieds un mea maxima culpa de circonstance.

 

 

Analyser Holy Motors rationnellement revient à essayer d'enseigner au fils caché de Dalì, Borges et Ionesco la mécanique des fluides. Plutôt que de verser dans la théorie fumeuse et fumante, ce sont des impressions à peu près aussi brutes que le film que nous allons à présent vous livrer. Car cette œuvre à part a été conçue avec tant de tripes que ces dernières éclaboussent régulièrement l'écran (au propre comme au figuré). Dès sa cryptique introduction, où le réalisateur se met lui-même en scène, il ne fait aucun doute que Carax est ici pour parler avant tout de lui, de son expérience, de son cinéma, et des acteurs.

 

Leos fait ainsi constamment référence à ses précédents films, pour en évoquer ici un personnage marquant, là un échec traumatisant, ou tout simplement leur redonner fugacement la vie dont l'amnésie collective les a un temps privés. Ces références se croisent sans pathos, ni égocentrisme déplacé, mais avec une sincérité, une candeur, et une volonté de communier avec le public (enfin !) dont la sincérité abat quasi-instantanément nos défenses. La souffrance qu'évoque l'artiste est digne, mais se voit paré d'une malice et d'une subversion stupéfiante.

 

 

 

 

Le principal ambassadeur de cet état d'esprit qui oscille entre poésie punk et science-fiction trash n'est autre que Denis Lavant, qui prouve ici que le terme xénomorphe peut désigner autre chose qu'un létal alien. Tour à tour créateur, muse et Pygmalion, il incarne une allégorie du comédien, porté, écrasé, sublimé par ce qui se révèlera un sacerdoce sans autre horizon que son perpétuel renouvellement. Acteur transbahuté de scène en scène, il est sommé d'incarner à la suite neuf personnages différents (ainsi que quelques surprises, et un entracte sidéral), et autant de figures du septième art, d'entités remarquables de genres composites. Un système qui n'est pas sans rappeler le regrettable ratage de Vous n'avez encore rien vu d'Alain Resnais, ritournelle rance et exsangue qui fait bien pâle figure face au festival de transgression orchestré par Lavant et Carax.

 

 

 

 

Non content de braver tous les interdits, de détourner les attentes et hésitations du public, Holy Motors accomplit l'exploit de contenir et dépasser l'ensemble des thèmes et problématiques dont semblent s'être emparés le cinéma cette année (surtout flagrant lors du Festival de Cannes). La crise, qui n'est pas ici tant économique que morale et philosophique, traverse l'ensemble des différents chapitres. Comment incarner sans cesse et toujours, comment quitter ces rôles et ces personnages aimés, mais surtout que reste-t-il du comédien quand la caméra, son repère, rapetisse sans cesse, et finit par disparaître ? On touche là au cœur de l'œuvre, le centre névralgique d'où jaillit son arborescence éclectique. La crise en action dans le film, c'est la disparition de la mécanique créatrice, des rouages apparents qui permettent à l'artiste de se hisser au-dessus de la simple gesticulation pour créer, et in fine transmettre.

 

 

 

Tout cela pourrait n'être que fatras théorique et spasmes anarchiques, si le projet n'était pas irrigué d'un humour polymorphe souvent irrésistible. Qu'il se vautre dans l'absurde (Monsieur Merde et Eva Mendes), la cruauté malaisante (comment couper court à une crise d'adolescente), ou joue sur le burlesque du déguisement, on appréciera que le long-métrage se prenne légèrement au sérieux, ou sérieusement à la légère.

 

Une multitude de strates qui n'interdit pas à ce dédale digne de Borges de mêler grandiose et pop culture dans une inoubliable séquence, dont l'invitée sera Kylie Minogue, en un lieu éminemment symbolique : l'immense cadavre à la renverse qu'est devenue la Samaritaine. Décors des Amants du Pont-neuf, ce tombeau art-déco est l'occasion pour le metteur en scène de danser avec nous sur le cadavre du film qui faillit signer sa perte, le temps d'une époustouflante scène musicale, qui cette fois ne relève pas de la comédie. Déchirant, référentiel et poétique, le passage prouve à lui seul que Carax, dont la particularité fut longtemps de faire des films contre le public, en a confectionné un dédié à leur retrouvailles.

 

 

Résumé

Si Holy Motors pourra évoquer au spectateur lambda, ou déjà échaudé par quelques tartufferies dites d'auteurs, les pires horreurs conceptuelles, le cinéphage refroidi d'avance serait bien inspiré de se faire violence. Car il découvrira un long-métrage d'une intensité renversante, un de ces objets indéfinissables, capables de transformer durablement le medium auxquels ils appartiennent. Holy Motors est une œuvre débutée bien avant son premier photogramme pour hanter bien après une conscience collective qui ne pourra que l'embellir et la faire grandir.

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converse tw
18/08/2015 à 00:05

̨

toms ̨
16/08/2015 à 14:08

toms̨

new balance taiwan ̨
29/07/2015 à 17:13

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