Critique : Au-delà des collines

Sandy Gillet | 19 mai 2012
Sandy Gillet | 19 mai 2012

Christian Mungiu c'est le réalisateur d'une certaine Palme d'or 2007 intitulée 4 mois, 3 semaines et 2 jours où le cinéaste roumain rendait compte de la manière la plus radicale possible d'une société extrêmement conservatrice pour ne pas dire intolérante vers la fin du règne Ceausescu. Au-delà des collines poursuit le constat, mais de nos jours, donnant à son film une tonalité encore plus définitive et tragique. Partant d'un fait divers relaté au sein de deux livres écrits par la journaliste roumaine Tatiana Niculescu Bran où une jeune nonne schizophrène fut trouvée morte suite à un exorcisme pratiqué par quatre religieuses, Mungiu réalise un film dense et irrespirable s'étalant sur plus de 2h30 et dont la plupart de l'action se situe au sein d'un monastère orthodoxe. Il y est question en effet d'exorcisme mais surtout d'un amour devenu impossible. Celui d'une femme qui veut reconquérir sa belle alors que celle-ci s'est refugiée dans la passion de Dieu depuis leur séparation.  

L'austérité des lieux n'est pas accentuée par la mise en scène de Mungiu qui a mis au rencart sa caméra naturaliste, qui filmait au plus près des corps et des mouvements tout en privilégiant l'action hors-champ, pour rendre compte de la tension et de l'instant. Ici c'est tout le contraire. La caméra est détachée. On a du mal à lire ou à anticiper les expressions des visages, ce qui permet à l'ensemble de prendre forme au sein d'un cadre certes toujours aussi stricte mais dont la respiration semble plus libre. La force du cinéma de Mungiu, et ce quelque soit le film, est sa propension à capter le moment présent qui n'occulte jamais le reste. Ainsi quand les deux personnages principaux (joués par Cosmina Stratan et Cristina Flutur dont ce sont les premières apparitions au cinéma) se retrouvent au tout début du film sur un quai de gare, on anticipe très rapidement la suite sans pour autant vouloir en connaître immédiatement les détails.

Un état de pure apesanteur scénique contrebalancée par un aspect assez hystérique de l'interprétation et du montage (bon attention ce n'est pas du Michael Bay non plus). Plusieurs séquences en attestent qui repoussent à chaque fois un peu plus la frontière du ressenti du spectateur, jusqu'à ce que celui-ci ne sache plus très bien à quel « saint » se vouer ni quel parti prendre. Celui de l'amour physique de l'une prête à tous les sacrifices et dénuements pour reconquérir sa belle ? Celui plus élégiaque mais non moins exclusif et sans attente de retour de l'autre ? Le combat est rude et de toute façon perdu d'avance. Il faut donc exorciser pour purifier. Il faut donc supprimer le corps malade pour en extraire l'âme purifiée. Et de constater avec horreur que nous n'avons jamais su quoi décider, quoi défendre jusqu'aux derniers plans de fin qui introduisent brutalement la réalité dans sa forme la plus crue. Une réussite malsaine et plus que déstabilisante qui en dit long sur l'immersion totale et formidable que le film a su nous infliger.

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