Critique : Terraferma

Sandy Gillet | 14 mars 2012
Sandy Gillet | 14 mars 2012

Emanuele Crialese n'est donc plus un inconnu. En deux films il a revisité à sa façon deux pans du cinéma transalpin de l'après guerre. Avec Respiro c'est un clin d'œil appuyé à La terre tremble de Visconti alors que Golden door rappelle (même maladroitement) par sa photo et sa mise en scène onirique le Et vogue le navire de Fellini. Preuve s'il en est qu'aujourd'hui encore chaque nouvelle génération de cinéastes italiens doit payer inconsciemment ou non son obole sur l'autel de ce glorieux mais étouffant passé. Terraferma ne déroge pas à la règle non dans une énième revisitation d'un héritage cinématographique, mais dans sa propension à vouloir revenir sur l'île de Lampedusa qui fut le théâtre de son premier film Respiro.

Mais ce qui fut dépeint alors comme une sorte de paradis sur terre ressemble plus aujourd'hui à l'antichambre nauséabonde d'un monde qui tourne le dos à son prochain. Situé aux avant-postes de la botte sicilienne à mi-chemin des côtes tunisiennes et libyennes, Lampedusa est à l'instar de l'île de Malte, le réceptacle premier de cette immigration irrégulière de plus en plus massive poussée au cul pour échapper aux guerres et autres tragédies humanitaires qui ravage son continent. La grasse Europe est leur salut, c'est la Terraferma, la terre depuis toujours promise, le « Golden door ». C'est en tout cas ce que va tenter de perpétuer bon gré mal gré cette famille de pêcheurs qui recueille clandestinement quelque part en méditerranée une femme enceinte et son jeune fils qui se sont jetés perclus d'espoir depuis leur embarcation de fortune bondée d'immigrants. Le ciel est d'un bleu azur, le soleil chaleureux et la mer turquoise. Emanuele Crialese se sert de ce décor de carte postale pour ancrer son récit et le confronter à une réalité que beaucoup ne veulent pas voir ou entendre à commencer par les touristes qui débarquent sur l'île à chaque été. D'un côté ceux qui veulent bronzer sur la plage, de l'autre ceux qui y arrivent enfin, ballotés par les vagues, pour la plupart déjà morts. On pense à des images d'actualité que le réalisateur italien se charge de mettre en scène façon allégorie clinquante (ralentis à n'en plus finir, gros plans sur le héro chaviré de chagrin et de regrets...).

On pourra reprocher justement au film sa forme un peu trop « visible » de temps à autre et sur-signifiante lors de quelques scènes clefs pouvant provoquer auprès des plus grincheux un rejet bien dommageable pour la crédibilité d'ensemble. On est en effet pas très loin de la prise d'otage politiquement correcte d'un phénomène géopolitique dont il serait pourtant bien malaisé de croire que Terraferma en montre tous les tenants et aboutissants. Car il est vrai qu'Emanuele Crialese ne cherche pas à faire de son film un brulot politique à charge et encore moins de rendre compte de tout cela via une enquête systémique à la façon d'un Joe Sacco (on pense spécifiquement à Reportages et au chapitre sur l'immigration africaine dans l'ile de Malte). Non, il s'agit plutôt ici d'une tentative de rapprochement et d'humanisation d'un sujet traité bien souvent que par les chiffres et le rejet. Il y a une volonté de bien dire et la posture assumée de l'homme/cinéaste outré par ce qu'il voit. Il y a donc urgence quitte à vouloir trop en faire. Qui pourrait franchement lui en vouloir ?

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