Critique : Apart together

Nicolas Thys | 3 mars 2012
Nicolas Thys | 3 mars 2012

Rares sont les films qui parlent à l'estomac et au goût, avec une simplicité déconcertante, comme ils parlent aux autres sens. La cuisine, même dans une région où elle serait considérée comme un art, est souvent accompagnée d'une dimension surnaturelle, cynique, sexuelle ou péjorative, et les plus beaux repas de cinéma, qui ont une véritable importance au sein de la narration, sont ceux où la nourriture tend à s'effacer comme si elle devait être bannie des écrans. Voyez simplement le décalage horrifique du Temple maudit, La Grande bouffe et ses orgies vomitives, l'anthropophagie mystique de Nouvelle cuisine, ou la débauche de couleurs jusqu'à l'écoeurement et les gâchis royaux de Marie Antoinette.

Apart together est l'exception, et une merveilleuse exception. Dans un pays où la cuisine et sa préparation, des courses à la cuisson des aliments, est une expérience de partage, de réunion voir de communion, il n'est pas étonnant de la voir au centre d'un récit, comme un personnage qui se manifeste autrement qu'avec la parole. Elle intègre la petite histoire, celle du film, tout comme la grande histoire, celle de la Chine contemporaine, et elle sert de lien. Un lien entre le passé et le présent, un lien entre les générations et les personnages aussi lointain qu'ils soient psychologiquement.

Et il n'y a qu'à voir la réalisation, subtile et légère, de Wang Quan'an pour comprendre à quel point elle est expressive. Tout se joue dans de longs plans autour d'une table, et les scènes qui ne font pas partie de cette logique culinaire y sont inscrites malgré elles car tout commence dans la cuisine et l'ensemble est relié à cette table où les personnages servent les autres plutôt qu'eux-mêmes, boivent et chantent, règlent des affaires familiales surgies d'un passé trouble et annoncent les nouvelles d'un futur incertain.

De légers mouvements de caméra ou quelques sonorités lointaines viennent compléter cette mise en scène mémorielle d'un art culinaire millénaire et qui perdurera encore et encore, comme dans ce plan où la famille réunie une dernière fois lors d'un repas dans la rue est perturbée par l'arrivée de la pluie. Ils se réfugient rapidement sous les toits et un léger panoramique revient sur cette table où les gouttes d'eau pleurent. Idem pour la dernière séquence et sa morale parfaite : « Pour manger, en tout cas, il faut le temps qu'il faut » avec en fond sonore le bruit du train inter-urbain qui file à plus de 400km/h.

Perdu entre un passé toujours présent, impossible à oublier autant qu'à fuir, et un futur incertain sur lequel on ne peut qu'émettre des hypothèses, une chose demeurera éternelle et immuable : ces repas aussi longs à préparer que délicieux à avaler, cette nourriture qui éveillent les sens, ce temps qu'on est finalement heureux de perdre pour mieux se retrouver.

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