Critique : La Grande illusion

Nicolas Thys | 15 février 2012
Nicolas Thys | 15 février 2012

A la veille de la seconde guerre mondiale, alors que tout le monde se voilait la face sur le conflit à venir, oser réaliser un film comme La Grande illusion relevait déjà du courage et de la folie, d'où la difficulté à trouver un producteur. Aujourd'hui encore, avec Les Croix de bois de Raymond Bernard, il reste le meilleur film jamais fait sur la première guerre mondiale et l'un de ceux où la dimension pacifiste est la plus prégnante sans devenir pesante ou ridicule. Peut-être déjà parce que le film de Renoir ne promeut pas la paix pour la paix, mais que tout en l'espérant il sait ce qu'il adviendra et il a conscience que tant qu'il y aura des hommes, les conflits sont inévitables.

En 1937, lorsque sort La Grande illusion, Jean Renoir est déjà un cinéaste important et reconnu. Après avoir excellé tant dans les comédies que les drames, son engagement social s'est fait de plus en plus fort et ce n'est pas pour rien que ce film aura été saisi par les allemands, ou que La Règle du jeu peu de temps après aura lui aussi subi les foudres de la censure. Autour de Jean Gabin que le projet passionne, Renoir réussit à monter une équipe et un casting parmi les plus beaux de l'époque, réunissant Pierre Fresnay puis Marcel Dalio, Julien Carette et Gaston Modot, tous trois aussi dans La Règle du jeu. Mais surtout, Erich Von Stroheim, que Renoir admire en tant que cinéaste et qui imposera ici sa silhouette à jamais, perdu entre une stature rigide imposée par la guerre et sa position aristocratique, et une humanité profonde.

Tout le film est d'ailleurs un jeu sur les apparences et la scène de théâtre au milieu du film met cette idée parfaitement en évidence. Tout le monde se croise dans ces prisons : gardes comme prisonniers, allemands, français et anglais, riches et pauvres, aristocrates et gens du peuple, noir ou blanc, juifs, catholiques ou athées. Mais tous avancent masqués, afin de se fondre dans une masse pour tenter d'oublier leurs différences et cohabiter. Malgré tout, ce qui réunit ces personnages, la guerre, va effacer les masques et, même quand ils se sentent à égalité, les individualités ne tardent pas à faire surface. C'est tout le paradoxe de ces êtres qu'on enferme en groupe, sans plus trop savoir quelle est leur place mais qui ne veulent pas oublier qui ils sont.

Et Renoir n'est jamais cynique, jamais tragique, juste réaliste. Il montre les choses comme elles sont, en évitant de s'apitoyer sur l'horreur de l'événement pour chercher ce qui reste d'humanité en l'homme. Car il en reste forcément en creusant un peu même au cours de ces moments effroyables où la société métamorphose ses quidam en ennemis jurés alors qu'ils pourraient s'entendre. Et les dernières séquences sont merveilleuses : loin de s'arrêter sur une fuite, Renoir met en scène l'intimité retrouvée, la mort et la renaissance et surtout le dépassement de la langue et des nationalismes. La fin de la guerre, ou tout au moins son idée humaniste, se joue finalement dans cette maison perdue dans les montagnes, entre la France et l'Allemagne, où l'amour reprend le dessus. Comme toujours, et heureusement.

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