Critique : Detachment

Laure Beaudonnet | 12 janvier 2012
Laure Beaudonnet | 12 janvier 2012

Nul besoin d'exploser une mâchoire sur le rebord d'un trottoir pour faire un film coup de poing. Après plus de dix ans de disparition sur les écrans, le réalisateur d'American History X sert un drame social moins brutal mais tout aussi viscéral, centré sur l'univers éducatif. Henry Barthes (Adrien Brody) intervient dans un lycée difficile d'une banlieue new-yorkaise pour maintenir l'ordre en classe quelques semaines. Entre un grand-père malade qui ravive des souvenirs douloureux, la rencontre d'une prostituée prépubère et les violences scolaires, il se brise sous le poids du quotidien. Avec ses faux airs de docu-fiction, Detachment brosse le portrait d'une fêlure, sous la forme d'une adolescence en perdition, d'une enfance secouée par le suicide, ou d'une solitude suffocante.

Si l'usage un peu trop systématique de gadgets formels (les dessins à la craie, notamment) peut sembler factice, le film surmonte rapidement ce défaut, empoignant son sujet avec les tripes. Car on est bien dans le domaine de l'affect avec Detachment, les rapports humains sont à fleur de peau, confus. Tony Kaye s'affranchit aisément de sa tendance au "name dropping" (Lucy Lui, Marcia Gay Harden, James Caan, Christina Hendricks) en livrant des personnages denses, ravagés par l'épreuve, cherchant tous à leur manière une béquille pour affronter le réel. Le rôle d'Adrien Brody intervient comme la matrice brisée de ce bouillonnement d'émotions. A force de s'éreinter à porter la douleur d'autrui, il se fait aspirer par les tréfonds du désespoir. Rarement l'acteur a illuminé l'écran de sentiments si vifs, traduisant une version fascinante de la fragilité.

La caméra se pose comme le témoin d'une survie. Finalement l'aspect social, le choix de traiter d'un lycée difficile n'est qu'une excuse pour s'intéresser à la vacuité de l'existence. Une relation hybride se tisse entre Henry Barthes et Erica, la jeune catin interprétée par la prometteuse Sami Gayle. Dans la veine de Welcome to the Rileys, cette amitié laisse naître des séquences bouleversantes où l'affection se dévoile avec pudeur. Detachment invoque assurément la subjectivité de son public, et s'il parvient à résonner, il devient le miroir d'une incommensurable tristesse.

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