Critique : Or noir

Simon Riaux | 18 novembre 2011
Simon Riaux | 18 novembre 2011
Fini les boucs lubriques et les saillies paillardes de Sa Majesté Minor, Jean-Jacques Annaud revient à ce qui fit son succès et sa réputation, la fresque historique d'envergure. Avec Or Noir, il s'attaque à une des charnières de l'histoire contemporaine, la naissance de l'exploitation pétrolière au Moyen-Orient, et les bouleversements humains et politiques qu'elle entraîna, souvent dans le sang. Si c'est avec un plaisir non feint que l'on retrouve le réalisateur, il nous revient plus timoré et maladroit qu'il ne fut.

Cette histoire de deux frères, confiés par leur père à son ennemi en règlement d'un conflit, commence par nous emporter, en alignant selon un schéma certes classique, mais maîtrisé et efficace, les éléments propres à toute tragédie qui se respecte. Une immersion réussie grâce à la beauté des décors, à la fois variés, réalistes et éminemment dépaysants. L'écriture se fait fort de brasser sans clichés nombre de thèmes potentiellement polémiques, la place du religieux, le rapport de l'Islam et des populations arabes avec une mondialisation balbutiante, et les tensions naissantes avec un occident avide. Chacun de ses aspects est abordé avec finesse et intelligence, sans que le scénario ou les dialogues en aient à passer par un ton professoral malvenu.

Si le bakground et la reconstitution n'ont aucun mal à nous convaincre, il n'en va pas de même des personnages. En choisissant de faire disparaître très (trop ?) tôt l'un de ses personnages principaux, Annaud ampute son récit d'un arc narratif que l'on souhaitait ardemment voir développé, auquel se substituent d'autres problématiques beaucoup moins intéressantes. C'est peu dire qu'on se fiche gentiment du frère caché de Tahar Rahim, et de son look d'Indiana Jones ensablé, mais on est surtout consterné par Antonio Banderas, qui n'a jamais été avare en performances outrées, mais qui livre ici un curieux numéro, plus proche du mafieux mexicain que du sultan. Quant à Freida Pinto, en route pour remporter l'Oscar de la meilleure potiche, l'absence quasi totale de sensualité avec laquelle est traité son personnage surprend de la part d'un auteur, à qui l'on doit quelques unes des scènes les plus sensuelles de nos émois adolescents. Seul Mark Strong s'impose par sa présence et son charisme, et confère à certains tunnels de dialogue une puissance insoupçonnable sur le papier.

Le réalisateur fait preuve d'un réel savoir-faire pour narrer les mésaventures de son jeune héros, mais ces dernières éloignent toujours un peu plus le récit de son coeur palpitant, à savoir l'exploitation naissante de l'or noir. On se désintéresse donc de ce qui se joue sous nos yeux, l'émancipation d'un jeune lettré devenu chef de guerre nous excitant beaucoup moins que la lutte armée et de principe, entre Banderas et Strong. L'opposition entre spirituel et temporel n'aura donc jamais véritablement lieu, à l'image d'une chevauchée finale qui ne manque pas de panache ni de classe, mais a recours à un improbable deus ex machina pour raconter enfin quelque chose.

S'il y a bien des raisons de louer l'esprit d'Or Noir, son profond respect des thématiques qu'il aborde, on aurait aimé qu'il les prenne véritablement à bras le corps, et leur confère l'écrin épique qu'elles méritaient. En l'état on n'a pas le sentiment que Jean-Jacques Annaud ait raté son film, mais plutôt que ce dernier souffre encore du spectaculaire échec de Minor, qui semble le contraindre à restreindre ses élans aventureux.

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