Critique : Safe

Nicolas Thys | 1 novembre 2011
Nicolas Thys | 1 novembre 2011

Début des années 90, Todd Haynes réalise son deuxième long métrage après Poison. A la même époque, le SIDA gagne du terrain, dans les médias et dans la réalité, les maladies liées aux produits chimiques font de plus en plus parler d'elles, la pollution, les gaz à effets de serre et autres maux terrestres et humains font partis dorénavant du vocabulaire quotidien. La fin est proche. Après le retour à la nature de la mouvance hippie, l'homme est revenu dans une urbanisation excessive, les sectes new age sont arrivées, les écolo ont commencé à prendre de plus en plus de poids dans la vie politique et avec tout ceci, la multiplication des déclamations sur l'horreur du monde.

Et au milieu de tout cela, Safe, un titre simple d'une ironie mordante. Si le film était dans l'air du temps voici bientôt une vingtaine d'années en traitant tous les sujets énoncés ci-dessus, il n'a rien perdu de sa verve et son formalisme est toujours aussi percutant. Dans une banlieue bourgeoise idyllique, pratiquement la même qu'on retrouvera dans Loin du paradis, une femme, Carol White, mono-expressive, sans personnalité et sans vie réelle, est victime d'un grand malheur : on lui a livré un canapé noir dont le coloris ne colle pas avec le reste de sa maison blanche. Elle voulait du bleu. Foncé.

Vie idéale pour certains, mais qui en fait ne ressemble à rien. Aucun désir, pas même sexuel, aucun rêve, sinon celui que tout cela dure comme si la Belle au bois dormant avait rêvé de dormir 100 ans, un déni de la réalité, à l'image de sa réaction face à la rédaction du fils de son mari sur les ghettos. Carol vie recluse dans un monde préfabriqué, à l'image de celui des poupées Barbie qui hantaient Superstar, un film court du même cinéaste. Une forme de marginalité aseptisée, celle du pouvoir, qu'elle n'a pas, et de l'argent, celui de son mari. Carol est soumise, elle se laisse porter par la vie jusqu'au moment où tout bascule.

 

Elle tombe malade.


Mais quelle maladie ? Nul ne le sait. Pas même son médecin. A voir son visage et son corps se déliter petit à petit, à la voir tousser, vomir, s'évanouir et faire des crises multiples, on pourrait la croire atteinte de dizaine de maux, ou bien elle est folle. On lui conseille un psychiatre, elle trouve du réconfort dans une association de victimes de la pollution puis dans un centre communautaire perdu en campagne où on lui extorque son argent pour ne pas la faire aller mieux, lui expliquer qu'elle est seule responsable de son mal, que regarder les infos c'est mal et que ses défenses immunitaires faiblissent. Mais au moins elle respire un air pur.

L'explication réelle de sa maladie sera laissée en suspens, et ce n'est pas le principal. Ce qui rend malade Carol, c'est sa vie, son hygiénisme forcené et forcé. Elle doit avoir la vie idéale. Donc hors de toute saleté, hors de tout crime, hors de toute faute. Mais à force de vouloir rejeter la pourriture et de continuer à évoluer dans le monde, le monde la rattrape et elle ne supporte plus la moindre odeur, le plus petit gramme de maquillage, la plus petite dose d'un produit non entièrement naturel. Les allergies deviennent de plus en plus nombreuses. Et en devenant allergique à l'air ambiant, elle devient aussi allergique à ce qu'elle était jusque là, à son cocon et à elle-même. Et, d'une forme de marginalité, elle passe brusquement à une autre. Elle va se précipiter hors de son milieu pour atterrir dans son extrême opposé.


Sa vie la tue à petit feu, sa conscience aussi.


Et le film de Todd Haynes aussi, en nous faisant revivre une époque, qui est encore la notre. La musique est pesante et oppressante, les trajets en voiture où l'héroïne disparaît dans un monde anonyme ne sont pas sans rappeler l'ambiance à venir du Lost Highway de David Lynch. Le cadre évite les gros plan pour se focaliser sur la symétrie et le vide général des décors. Jusqu'à l'arrivée dans la nature. On imagine là une porte de secours, une nouvelle vie mais rien ne change vraiment. Elle se fait prisonnière d'une autre société, d'un igloo en plastique et d'un mode de vie qui la fait sombrer. Mais en lui faisant croire qu'elle est heureuse, qu'elle s'aime et que nous sommes son miroir...

Résumé

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