Critique : Privilège

Nicolas Thys | 19 septembre 2011
Nicolas Thys | 19 septembre 2011

Jamais on ne dira assez à quel point Peter Watkins est un cinéaste majeur, trop peu connu, souvent mis à l'écart mais l'un des plus importants de sa génération. Britannique, engagé, ses films sont des critiques acerbes de notre civilisation, de ses excès, de ses travestissements et de ses mises en scène les plus diverses. En cela, on pourrait le rapprocher de l'épopée du Free cinema, et pourtant il s'en détache. Plusieurs raisons. D'abord son cinéma n'est pas anglais, il est universel, il pourrait se dérouler n'importe où et ses références sont larges. Ensuite, ses films ne sont pas des tribunes populaires qui chercheraient à faire le compte rendu et la description d'un monde oublié ou peu filmé. Ce sont, au contraire, de véritables films politiques qui s'attaquent de front à chaque segment de la société et de l'histoire sans oublier de montrer au peuple à quel point il se laisse faire et comment il est partie prenante et contribue à faire du monde ce qu'il est par son immense passivité.

Son œuvre a pris plusieurs voies, elle est aussi littéraire. Y pénétrer n'est pas toujours mais Privilège reste peut-être la meilleure porte d'accès. Il se présente à première vue comme un film rock et un film sur le rock, sur la jeunesse des années 60-70, sur ce mouvement contestataire qu'il va prendre à contre pied. Au lieu de le glorifier, Watkins va montrer à quel point ces contestations sont mineures, qu'elles participent activement à la consommation et qu'elles laissent finalement au gouvernement toute la liberté possible afin de soumettre le peuple à sa bonne volonté. Il suffit de contrôler les désirs et les mythes et de savoir les modeler pour canaliser chaque révolte. Et le réveil ne passe finalement pas par la glorification passive des mythes mais par leur mise à nue qui pourra empêcher ce contrôle qu'ils ont sur les masses et mener à une action véritable.

Le message est clair. Peut-être un peu trop, et ce sera là le défaut du film pour qui est déjà habitué au cinéma de Peter Watkins. Privilège souffre de didactisme, dans le mauvais sens du terme. Le film ne devrait pas être un moyen d'apprendre et montrer les choses devrait suffire à la compréhension de l'ensemble. Ici, une voix off explicative surplombe la fiction, comme si elle cherchait à appuyer le côté documentaire là où il n'y en avait pas besoin. En cherchant à faire réfléchir avec un commentaire, le film perd en puissance. En revenant à une forme plus classique, le pouvoir contestataire faiblit. Pourtant le film n'est pas mauvais. Et ceux qui ne connaissent pas Peter Watkins auront ici une belle introduction à son œuvre, la démonstration que le cinéaste cherche la profondeur là où tant d'autres se limitent à la surface. Il va au-delà de la simplicité apparente des choses, et il se démarque du reste de la production cinématographique.

Dans Privilège, le cinéaste montre quels enjeux politiques sous-jacents sont en œuvre dans la mise en place d'un mouvement contestataire, et il explique et fait figurer l'idée, aujourd'hui connue, que tout pouvoir a besoin d'un contre pouvoir pour exister. Watkins se place au dessus du monde pour en déchiffrer certains aspects cachés. Il apporte d'autres pistes de réflexion auxquelles peu osait songer. Il va au delà des images connues, des stéréotypes, pour les percer à jour quitte à faire mal et montrer que les solutions sont plus compliquées à faire exister. Et, si la forme du film n'est pas encore aboutie Privilège est l'accès rêvé pour continuer et s'aventurer dans les expériences intenses que sont Punishment Park ou La Commune par exemple.

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