Critique : En présence d'un clown

Nicolas Thys | 24 juin 2011
Nicolas Thys | 24 juin 2011
En 2008 déjà, un petit opuscule écrit par Jean Narboni aux éditions Yellow now rappelait l'existence de cette oeuvre méconnue du cinéma de Bergman qu'est En présence d'un clown. A l'origine réalisé pour la télévision, il n'a été que très peu diffusé sur les écrans, petits ou grands, et jamais édité sur support VHS ou DVD, avant sa redécouverte en 2009. Adaptation filmique d'une pièce de théâtre écrite par le cinéaste lui-même en 1993, elle va bien au-delà de la captation et certains passage, même très courts, dénotent une ambition folle et une envie de création de forme loin d'être éteinte comme cette griffe sanglante du clown qui reste figée hors du corps, dans le décor, véritable écorchure de l'image, du film et du rêve.

Si on perçoit quelques accents shakespeariens, comme l'indique la phrase en exergue du générique, l'ensemble est clairement bergmanien même s'il prend nombre de ses thèmes à contrepied. La mort est encore présente, sous forme de fantôme fantasmatique et fantasmagorique cette fois, loin du noir intense du Septième sceau, elle se fait blanche, féminine, clown et surtout très sexualisée. Les crises couples sont au coeur du récit, mais tournées de manière si imprévisibles qu'elles peuvent prêter à sourire au contraire des drames habituels. Et l'ensemble ne parle que de spectacle, sorte de mise en abyme du cinéma ramené à sa plus simple expression, enfantine, artisanale : un public, un écran, un appareil de projection.

Toutefois son dispositif va au-delà, il mêle en quelque sorte théâtre et film. Déjà par le tournage en vidéo, rappelant la forme scénique et apportant aux différents espaces un aspect qui oscille entre réalisme et factice. Mais aussi par ses inventions. Le cinéma parlant ne l'est que par l'ajout d'acteurs derrière un écran qui interprètent sur une scène cachée les personnages du film. L'invention ne relève plus du cinématographique, elle implique une présence réelle, une existence du corps hors de la machine.

Malgré une trame narrative parfois sombre, l'ensemble fait preuve d'un lyrisme magnifique doublé d'une joie étrange à laquelle le cinéaste ne nous avait pas habitué. Une folie qui mêle anachronismes délirants, humour graveleux et une vie quotidienne dans ce qu'elle peut avoir de plus dérangée. Et chaque malaise semble toujours vouloir se résoudre dans la vie proposée par le spectacle et l'envie d'aller de l'avant même quand le sort frappe encore et encore. Déjà âgé de 80 ans à la sortie de son film, Bergman réalisait là une oeuvre vers la mort, moins sombre, et d'une beauté discordante.

Résumé

Newsletter Ecranlarge
Recevez chaque jour les news, critiques et dossiers essentiels d'Écran Large.

Lecteurs

(0.0)

Votre note ?

commentaires
Aucun commentaire.
votre commentaire