Critique : En présence d'un clown
Si on perçoit quelques accents shakespeariens, comme l'indique la phrase en exergue du générique, l'ensemble est clairement bergmanien même s'il prend nombre de ses thèmes à contrepied. La mort est encore présente, sous forme de fantôme fantasmatique et fantasmagorique cette fois, loin du noir intense du Septième sceau, elle se fait blanche, féminine, clown et surtout très sexualisée. Les crises couples sont au coeur du récit, mais tournées de manière si imprévisibles qu'elles peuvent prêter à sourire au contraire des drames habituels. Et l'ensemble ne parle que de spectacle, sorte de mise en abyme du cinéma ramené à sa plus simple expression, enfantine, artisanale : un public, un écran, un appareil de projection.
Toutefois son dispositif va au-delà, il mêle en quelque sorte théâtre et film. Déjà par le tournage en vidéo, rappelant la forme scénique et apportant aux différents espaces un aspect qui oscille entre réalisme et factice. Mais aussi par ses inventions. Le cinéma parlant ne l'est que par l'ajout d'acteurs derrière un écran qui interprètent sur une scène cachée les personnages du film. L'invention ne relève plus du cinématographique, elle implique une présence réelle, une existence du corps hors de la machine.
Malgré une trame narrative parfois sombre, l'ensemble fait preuve d'un lyrisme magnifique doublé d'une joie étrange à laquelle le cinéaste ne nous avait pas habitué. Une folie qui mêle anachronismes délirants, humour graveleux et une vie quotidienne dans ce qu'elle peut avoir de plus dérangée. Et chaque malaise semble toujours vouloir se résoudre dans la vie proposée par le spectacle et l'envie d'aller de l'avant même quand le sort frappe encore et encore. Déjà âgé de 80 ans à la sortie de son film, Bergman réalisait là une oeuvre vers la mort, moins sombre, et d'une beauté discordante.
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