Critique : My little princess

Simon Riaux | 17 mai 2011
Simon Riaux | 17 mai 2011
Quand on sait combien l'exercice autobiographique est délicat et incertain sur grand écran (n'est pas Jonathan Caouette qui veut), on pouvait légitimement craindre le pire concernant My Little princess de Eva Ionesco. Transposition de la relation mère-fille artistique, sulfureuse, ambiguë et photographique qu'elle entretint avec sa génitrice, le film aborde frontalement un des sujets les plus délicats qui soit, à savoir le détournement de l'enfance, transformée en oeuvre d'art, désirable et sexuée à l'extrême.

Les premières minutes du film ne rassurent pas, loin de là. L'exposition des personnages ne fonctionne pas, beaucoup trop rapide, nous tombant sur le coin du museau comme si nous prenions le film en marche. Cette approche tourne à vide, car devant la complexité du personnage d'Isabelle Huppert, le spectateur est tout à fait désarçonné, à tel point que l'on s'interroge comme rarement sur le jeu de l'actrice, entre hermétisme et hystérie. Pendant vingt bonnes minutes, le film alterne des séquences immersives et d'autres beaucoup plus bancales, dont on devine les intentions, sans que ces dernières bénéficient de la respiration indispensable à leur épanouissement, à l'image de l'essayage d'une robe sous les yeux effarés d'une aïeule traditionaliste.

Alors que l'on se désole de voir cette oeuvre personnelle et pertinente sur le poing de se perdre en maladresses, un petit miracle survient. Isabelle Huppert (de plus en plus magnétique alors que le film progresse) accompagnée de son enfant, devenue extension monstrueuse de son corps et de ses désirs, présente ses premiers tirages devant des amateurs d'art et autres galeristes. Le film dévoile alors son véritable sujet, le coeur passionnant du long-métrage, le rapport des hommes à cette enfant monstre, cette femme pas encore objet, et incarnation aussi visionnaire qu'inquiétante d'un sexe proéminent, tout-puissant, innocent et déjà bafoué. Dès lors, la mise en scène d'Eva Ionesco devient racée, intrusive, ne nous épargne plus rien de la démarche diabolique de cette photographe qui ne peut plus fantasmer et in fine jouir qu'à travers le corps de sa fille, dont elle désespère de pouvoir tout à fait disposer.

Avec une acuité douloureuse, comme en témoignent les nombreuses défections lors des projections Cannoises, Eva Ionesco scrute sans jamais nous faire de concession la concupiscence fascinée dans laquelle se vautre la gent masculine au contact d'une gamine métamorphosée à son corps défendant en protubérance sexuelle, que tous caressent, faute de pouvoir posséder. L'auteure acte ici la naissance d'une certaine représentation de la femme, alors balbutiante, et qui règne en maître désormais. L'obscénité de la chose est là dans toute son horreur, représentée avec une intelligence et une beauté mortellement vénéneuses.

Après tant de virtuosité, on se désole devant les vingt dernières minutes du film, dénuées d'enjeux narratif, probablement motivées par la volonté de la réalisatrice de témoigner jusqu'au bout. Malgré un début raté, et une fin qui n'en finit pas de s'essouffler, My Little princess marque durablement l'esprit, et pas là où on l'attendait. Qu'une auteure s'extirpe des carcans d'un certain cinéma féministe, nous offre un réquisitoire d'une force sidérante et à rebours sur le regard de l'homme, voilà qui mérite des applaudissements, quels que soient les faiblesses de ce premier film.

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