Critique : Bon À Tirer (B.A.T.)

Simon Riaux | 27 avril 2011
Simon Riaux | 27 avril 2011
Schizophrène amouraché, obèse complexée, siamois au bord de la crise de nerfs, les Farrelly ont exploré ces dix dernières années une palette de caractères déjantés sans équivalent dans le cinéma américain. Les voici de retour, avec en poche un Bon à Tirer destiné à une cible beaucoup plus communément représentée, les bons pères de famille, et la vie de couple en général. Les deux frangins auraient-ils opté pour un sujet plus classique et balisé ? Rien n'est moins sûr.

Rick et Fred ne sont pas malheureux, ils aiment leurs femmes et enfants, et se considèrent plutôt comme des hommes accomplis, dignes représentants de l'American way of life. Toutefois, les deux compères se demandent de plus en plus sérieusement à quoi ressemblerait leur existence sans leur compagnes respectives... À tel point que ces dernières, excédées, leur offre un « bon à tirer, » destiné à les dégoûter une bonne fois pour toute du célibat. Les metteurs en scène vont s'empresser d'enrichir cette situation de base, de l'affiner, mettant rapidement les personnages masculins et féminins à égalité. Une fois l'écueil crypto-machiste écarté, le scénario s'emballe et accélère pour atteindre des cimes comiques dont il ne redescendra plus.

Le duo de réalisateurs n'avait pas atteint une telle maîtrise en terme de rythme et de construction depuis Mary à tout prix. La chute de certains gags, tel celui du massage, est absolument imprévisible et résolument jouissive. Les Farrelly sont également les seuls aujourd'hui capables de manier la scatologie avec une telle acuité. Il y a dans son recours bien plus qu'une attitude de sales gosses bloqués au stade anal. Le gag de « l'éternuement gras, » ou celui du « chybre » surprise sont véritablement des sommets qui feraient passer toute la concurrence américaine pour une bande d'ados attardés.  Leur attitude n'est pas différente de celle de Rabelais (quant à l'immortalité de leur oeuvre, c'est une autre histoire). Il est bien question ici de réhabiliter un corps qui doit disparaître totalement, ou s'exposer tout à fait, à condition d'être parfait. Devant la caméra, les anatomies se font gauches, charnues, quant elles ne trahissent pas tout à fait leurs propriétaires. Les corps se font vecteur de l'humour et n'en sont jamais la cible.

Certains voient dans le message du film une morale facile et bien pensante. Voilà un jugement symptomatique de ceux qui se repaissent d'un oeil coupable d'oeuvres qu'ils s'acharneraient à démonter si elles avaient le malheur d'être produites en France. Il faut être passé totalement à côté du film, pour voir dans le renoncement aux sirènes de la liberté à tout crin de ces deux mâles dominés une quelconque apologie du mariage. Choisir non plus des caractères atypiques pour les tourner en dérision, mais deux types extrêmement proches du public visé par le film, et les décrire comme minés par un fantasme pathétique, qu'ils ne sont même pas foutus de réaliser, c'est l'exact opposé d'une morale facile.

Les frères Farrelly ont donné le meilleur d'eux-mêmes avec Bon à Tirer. Si vous êtes un homme marié, ne le manquez pas. Si vous êtes une femme mariée, courrez-y. Si vous pensez que le film ne s'adresse pas à vous, éteignez votre ordinateur et précipitez-vous au cinéma, vous allez rire à en pleurer. Ou l'inverse.

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