Critique : Le Journal d'une femme de chambre

Fabien Hagege | 12 février 2011
Fabien Hagege | 12 février 2011

Le Journal d'une femme de chambre, l'un des quatre films américains de Renoir, fut éclipsé de la mémoire collective par la seconde adaptation qui fut faite de l'œuvre d'Octave Mirbeau : celle de Buñuel bien sur. C'est donc avec une joie immense que l'on découvre cette copie restaurée d'un film quasiment invisible. Et la surprise est de taille, il s'agit de l'un des tous meilleurs Renoir. Une œuvre qui semble aller à une vitesse folle, Renoir s'empare de l'efficacité des studios hollywoodiens avec une facilité déconcertante et ne s'embarrasse de rien (il ne semble pas avoir peur de la censure) afin d'utiliser la parfaite mécanique de l'œuvre pour s'en faire sienne. Il est étonnant de voir à quel point le film, écrit par Burgess « Rocky » Meredith (alors compagnon de Paulette Goddard), brasse toutes les thématiques de Renoir mais de manière à la fois distanciée et naturelle, poétique en somme.

La liberté, thème cher à Renoir, que l'on retrouve de manière éparse dans des œuvres ultérieurs tel Boudu, sauvé des eaux ou Les bas-fonds sert ici de base à l'intrigue. Célestine, tout juste arrivée de Paris, s'insurge du comportement de Joseph, le valet de la famille Lanlaire. De par cette décision naît son désir de ne plus être la propriété de quiconque mais d'être maître d'elle-même. Deuxième thème renoirien : la propriété. Et rapports de force qui s'en suivent selon cette optique. Ainsi Madame Lanlaire (interprétée par Judith Anderson, formidable Mrs. Danvers de Rebecca) veut posséder son fils (il y a de l'inceste dans l'air), absent depuis six ans, et pour cela elle veut que Célestine le séduise. Le fils, malade, doit réaliser qu'il doit se battre à la fois contre sa maladie et pour sa liberté dans un final totalement inédit dans l'œuvre renoirienne et qui met en place des scènes, longues, de grande violence. Un lynchage cathartique digne de celui des Bas-Fonds, un traitement de la sexualité quasi similaire à celle de Gabin dans La Bête Humaine, un communisme gentiment dessiné vers la fin rappelant les œuvres engagées, une noirceur proche de La Chienne, un rapport à l'apollinien et au dionysiaque déjà présent dans sa Partie de Campagne,...

Avant ses futures réflexions cosmiques type Le Fleuve, Renoir prouve une dernière fois à quel point il est capable de se renouveler et de s'adapter. Son décor carton pâte de la France du XIX, bien loin de le desservir, lui sert de microcosme dans le but de représenter un petit théâtre de marionnette dans lequel les hommes refusent de s'extraire de leur condition sociale. Jusqu'au jour où... Le récit s'enchaîne tellement bien que le petit connaisseur de l'œuvre renoirienne ne peut que vibrer devant une telle redécouverte. Pour reprendre André Bazin, si La Règle du jeu était un drame gai, Le Journal d'une femme de chambre est une tragédie burlesque.

Résumé

Newsletter Ecranlarge
Recevez chaque jour les news, critiques et dossiers essentiels d'Écran Large.

Lecteurs

(0.0)

Votre note ?

commentaires
Aucun commentaire.
votre commentaire