Critique : Henry V

Nicolas Thys | 8 décembre 2010
Nicolas Thys | 8 décembre 2010

Les années 1944-1965 ont connu deux grands cinéastes shakespeariens. Les deux venus du théâtre, les deux ayant débuté comme acteur et metteur en scène avant d'en venir à la réalisation. Du côté américain, le moderne Orson Welles qui a réalisé MacBeth, Othello et en 1965 l'étonnant Falstaff, preuve de sa maîtrise du théâtre shakespearien puisqu'il y reprend plusieurs pièces britanniques autour d'un personnage secondaire récurrent. Pourtant les adaptations de Welles sont proches voire par moments redevable à celui qui l'a précédé de quelques années à peine. En Angleterre, Laurence Olivier, héritier d'une longue tradition théâtrale autour du dramaturge, a cherché lui aussi à adapter Shakespeare au cinéma tout en le sortant des conventions de son médium premier. Il réalisera 3 adaptations de pièces et parmi celles-ci : Hamlet et Henry V.

Henry V, pour lequel Olivier reçoit en 1947 un Oscar d'honneur, est l'une des adaptations les plus étonnantes de Shakespeare, une œuvre à la fois classique et moderne qui ouvrira la voie aux autres. Paré d'une forme ample et lyrique, notamment dans une brillante ouverture survolant un Londres ancien jusqu'au théâtre où sera jouée la pièce, remarquable mais visible maquette de la ville déjà révélatrice des artifices ultérieurs de la mise en scène, le film va se découper en trois parties, trois visions de l'œuvre, trois manières pour le cinéma de la reprendre sans faire du théâtre filmé.

La première se concentre sur la scène, le public mais aussi les coulisses. Ce n'est pas une représentation qui est donnée en tant que tel, mais un théâtre élisabéthain qu'on va visiter au gré de la caméra tout en assistant à une pièce, Henry V. L'atmosphère générale d'une époque sera reconstituée : un lieu, des décors, ses conventions et l'intervention du public. Suivra un second acte filmique beaucoup plus pictural et bigarré, haut en couleurs et à l'espace complètement remodelé. Les perspectives et les dimensions changent du tout au tout et de la scène shakespearienne de la fin du 16eme siècle, on retourne à l'époque historique où se joue la pièce, pratiquement deux siècles plus tôt, dont Laurence Olivier reprend certains des codes picturaux les plus prégnants pour les adapter au cinéma et y poser les protagonistes. Il finira pour la grande scène de bataille dans un univers beaucoup plus naturaliste afin d'apporter le réalisme nécessaire au combat qui se joue.

C'est aussi, en quelque sorte, une certaine vision de l'histoire du cinéma qui se joue à travers cette adaptation, traversant un théâtre filmé (mais ici sous toutes ses coutures), pour se diriger sur une scène aux décors majestueux qui font office de cadre cinématographique avant d'arriver à un univers plus ancré dans une certaine forme de réalité. Excellente idée afin d'entrer dans son Hamlet.

Réalisé 4 ans plus tard, Hamlet est l'une des œuvres les plus célèbres et les plus jouées de Shakespeare. Pourtant si le film est moins expérimental qu'Henry V dans sa mise en scène, il n'en reste pas moins élégant et singulier. Olivier respecte l'œuvre sans pour autant chercher à l'adapter mot pour mot. Il va occulter trois personnages importants : Fortinbras, Rosencrantz et Guildenstern, les deux amis d'Hamlet n'apparaissant jamais et le roi de Norvège n'intervenant aucunement à la fin du film qui se clôt sur un cortège.

La prestation des acteurs est une fois encore excellente, prisonniers de ces étranges décors à la fois limités dans le nombre de pièces du château mais labyrinthiques, imposants et majestueux. Sans porte et pratiquement sans fenêtre, avec des plafonds invisibles par moment, les frontières entre le monde extérieur, qui appelle à la mort et à l'exil, et le monde intérieur, plus chaud mais traitre, sont fortement poreuses. L'ensemble est à la fois très théâtral, avec des sorties d'acteurs pour en laisser d'autres réciter quelques monologues, et très cinématographique avec une caméra non avare en mouvements amples et fluides. Fantomatique et atmosphérique elle rappelle ainsi le spectre du père d'Hamlet qui hante les lieux, les protagonistes et le film dans son ensemble.

La mise en scène, qui joue sur la théâtralité originelle et le cinématographique total, renvoie perpétuellement à la fameuse séquence de la révélation. Moment central, c'est l'une des plus belles mises en abyme jamais écrites où Claudius, ainsi que la mère d'Hamlet, comprend que le héros n'est dupe de rien et qu'il connait la vérité. Théâtre dans le film, la caméra se fait plus présente, voire rémanente et ne cesse de tourner autour du public et de la scène pour insister sur ce climax au cours duquel le fantôme du père est partout présent sans être visible. Cette séquence contient en germe motifs et partis pris esthétiques qui n'auront de cesse de se déployer dans le film.

Ces deux œuvres, et Hamlet remportera l'Oscar du meilleur film, une première pour un film non américain, figurent parmi les plus belles adaptations de Shakespeare sur grand écran. A de rares exceptions près, il faudra ensuite attendre Kenneth Brannagh pour trouver un autre cinéaste en phase à ce point avec le dramaturge britannique.

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