Critique : Le Plongeon

Nicolas Thys | 7 décembre 2010
Nicolas Thys | 7 décembre 2010

"I always wanted to be Peter Pan, the boy who never grows up. I can't fly, but swimming is the next best thing. It's harmony and balance. The water is my sky." Clayton Jones

 

Qu'est ce que The Swimmer, sinon l'un des films les plus atypiques des années 60 et l'une des œuvres cinématographiques qui laisse le plus la place aux rêveries sombres et mélancoliques et aux interprétations multiples ? Troisième film de Frank Perry, c'est sans aucun doute le plus baroque et le meilleur de son auteur, aujourd'hui oublié mais plutôt actif avec une quinzaine de titres réalisés en 30 ans de carrière. Adaptation d'un roman de John Cheever, The Swimmer est pourtant resté inédit sur les écrans français jusqu'à cette année, peut-être à cause de son inquiétante étrangeté, du malaise qu'il distille, de son histoire aussi absurde que belle ou de l'image ternie suite aux différends orageux entre Burt Lancaster et le réalisateur qui sera renvoyé pour être remplacé pour une scène par le jeune cinéaste Sydney Pollack.

Burt Lancaster est un nageur et un marcheur, un promeneur solitaire venu de nulle part sinon d'une forêt mystérieuse et enchantée et allant droit dans un mur qu'on pressent de loin. C'est un homme pratiquement nu du début à la fin du film qui rêve de rentrer chez lui en passant par un fleuve imaginaire formé par les piscines de voisins aux côtés desquels il ne vit pas. Et l'ensemble est une dégringolade brutale puisque de bassin en bassin, Lancaster fera face à ses anciens démons, à des amis devenus ennemis, à toute une bourgeoisie féroce qui le lacèrera à coups de paroles cruelles et incompréhensibles tant pour lui que pour nous.

En fait, notre protagoniste est un homme hors du temps, une sorte d'obscur Peter Pan déchu : un homme qui a oublié de vieillir pendant des années d'absence dont on ne saura rien. La scène initiale, qui voit un ancien ami censé avoir 1 an de moins alors qu'il en fait 15 de plus, est sans équivoque. L'absence c'est aussi la mort de certaines personnes dont il ne savait rien, comme s'il avait disparu de la surface de la Terre. Peut-être pour ce Never-Never Land (Well, how goes it in "Never-Never Land"? très mal traduit dans les sous-titres français) dont parle ironiquement son ancienne maîtresse, dernière piscine élégante et vide avant le retour à la réalité du bassin municipal, lors d'un dialogue de sourd. L'absence c'est encore ce court retour en enfance, cette piscine vide qu'il remplira de ses pensées car comme il le dit si bien à un enfant seul, pratiquement abandonné, et pale figure de lui-même : « Si on croit vraiment que quelque chose existe alors cette chose existera réellement pour nous ».

L'absence c'est enfin un retour et une confrontation directe avec un passé qu'on ne peut voir. Ces piscines sont comme la citation en exergue, la tentative de retrouver une certaine harmonie, un substitut de ciel mais les présences humaines le brisent et le temps qui passe le rattrape. Les moments de marche sont beaux, baroques, brillants de mille feux mais froids et ténébreux. Le passé lui éclate en plein visage et certains discours ne peuvent plus être prononcés car son interlocuteur a vieilli, ou tout simplement grandi. Jusqu'au final, aussi intense que désespéré et terrifiant.

The Swimmer sonde les tréfonds de l'âme humaine et nous en livre, en plusieurs parties brutes et morbides, une face cachée : celle de la mémoire, de l'oubli, du refoulé mais celle également d'une société implacable et finalement incapable d'évoluer alors que les mutations sont là, une société qui ne laisse aucune place aux rêveurs. N'oublions pas que le film fût réalisé en 1968, que Peter Pan n'a pas d'âge et qu'il sera un éternel enfant triste...

Résumé

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