Critique : Le Soldat dieu

Nicolas Thys | 27 novembre 2010
Nicolas Thys | 27 novembre 2010

Après plus de 47 ans de carrière, Koji Wakamatsu est toujours un réalisateur engagé et en colère. Son nouveau film en est une belle preuve. Après un passage remarqué sur les révoltes estudiantines des années 1960-70, United red army en 2008, Le Soldat Dieu revient sur la génération précédente, celle des parents et de la seconde guerre mondiale. Le film est violent, morbide, viscéral. C'est une œuvre qui prend aux tripes dès l'ouverture et qui les torturent une heure et demie durant sans pour autant figurer les massacres de cette guerre, sauf quelques plans d'archive d'Hiroshima.

En ce sens, on pourrait le comparer à Johnny s'en va en guerre, d'une cruauté inouïe sans qu'un seul corps mort ne soit explicitement montré. Et ce n'est pas son seul point commun avec le film de Dalton Trumbo. Si ce dernier montre un homme, ou ce qui en reste (une pensée), entouré de bandages, Wakamatsu en réalise le versant japonais. Il défait ces bandages et il le laisse vivre aux bons soins de sa femme. Cet homme sera un « soldat dieu », de retour chez lui, multi médaillé mais en lambeaux : sourd, muet, sans bras, sans jambe, à moitié défiguré.

Mais le réalisateur japonais va plus loin. L'homme qu'il montre n'est pas innocent et il est difficile d'avoir un gramme de compassion pour lui. C'est un violeur, un homme qui battait sa femme, un égoïste et plus simplement un monstre. Et, aucune voix off pour attendrir quoique ce soit : il ne pense pas, il revit simplement certains de ses actes lorsqu'on le souille à son tour. Manière de montrer son humiliation sans pour autant être horrifié par ce qui lui arrive. Manière également de constater et de critiquer un état du Japon d'alors, ses valeurs et ses codes, de faire ressurgir un traumatisme et de l'exploiter.

Wakamatsu se moque de la propagande. De la femme au foyer, soumise et toujours heureuse, que veut modeler la société, il garde la femme, met son foyer en pièces et insiste sur ses souffrances puis sa force qui va prendre peu à peu le dessus, parfois rattrapée par une culpabilité destructrice. Souffrance de voir une « chose », selon ses propres termes, lui revenir au lieu d'un mari. Une chose vivante qui devrait être morte et dont elle doit s'occuper au lieu de vivre. Le réalisateur s'immisce au sein d'un couple défiguré et il le regarde vivre sous toutes ses coutures. Comme dans tous les films du cinéaste nippon, le sexe est un élément central. L'homme ne fait que manger, dormir et vouloir coucher avec sa femme qui s'exécute comme s'il la dominait encore malgré ses handicaps multiples.

Mais, alors que Wakamatsu filme souvent les intérieurs et les personnages comme un cinéaste japonais classique, une façon de renouer avec l'époque qu'il filme et de renforcer la crudité des actes, il va démonter son système à plusieurs reprises. Il va insister sur la prise de pouvoir de l'épouse qui, traitée comme une chienne afin de montrer sa soumission à l'Empire et la société, va finalement avilir la chose qu'elle a pour mari. Le sexe, qu'il demande, deviendra un viol à plusieurs reprises et sa virilité, dernière parcelle d'humanité qui lui reste, sera remise en cause. Contrairement à sa volonté, et comme pour le punir de trop manger, elle va l'exhiber comme un pantin au peuple qui veut voir le soldat dieu pour croire en la propagande de l'empereur ; espoir vain et le corps en morceaux du guerrier violeur devient la monstration directe d'une politique monstrueuse et hypocrite qui se terminera sur le massacre atomique.

Tourné en numérique, format au photoréalisme plus important que jamais, Le Soldat dieu semble rester en surface des êtres, des paysages et des actes. Impossible de trouver ici un semblant d'âme à ceux qui sont filmés : on y est frontalement rattaché, comme pour montrer toute l'horreur de l'homme dans un monde où la nature reste la même. Le numérique devient ici un gage d'inhumanité. Le format de l'horreur, d'où rien de beau ne peut surgir sinon la folie, l'hypocrisie, le désir de vengeance et le misérabilisme d'une politique et des individus qui y sont aliénés.

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