Critique : De Nuremberg à Nuremberg

Nicolas Thys | 23 novembre 2010
Nicolas Thys | 23 novembre 2010

Les documentaires d'archives sont toujours des objets délicats à manier. Certains s'en sortent admirablement. Voir par exemple Le Fond de l'air est rouge de Chris Marker ou The Maelstrom : A Family Chronicle du hongrois Péter Forgács. D'autres moins, à l'image du film de Frédéric Rossif, De Nuremberg à Nuremberg, exemple canonique de par sa durée, sa dimension historique et sa popularité, du film à ne pas suivre et pourtant fort suivi. Quatre heures durant, et en quatre parties distinctes, le réalisateurs dénichent des images de guerre et il les met bout à bout pour « raconter la seconde guerre mondiale ».

En quoi les deux premiers diffèrent-ils du troisième ? Dans leur utilisation de l'Histoire. S'ils utilisent des images d'archives, ils ne cherchent pas à faire l'histoire ni à prétendre au discours objectif. Déjà dans sa Lettre de Sibérie, Marker rappelait que l'on pouvait faire dire ce qu'on voulait aux images avec des mots et de la musique bien choisie. Ensuite, le spectateur perçoit les images et il les voit comme la démonstration de ce qui est dit sans chercher à les interroger davantage. Leur sens est communiqué par un remontage et des sons rajoutés qui auraient très bien pu dire le contraire et passer pour une autre vérité.

Après, que le discours du film de Frédéric Rossif soit exact ou non, cela importe peu. Ethiquement, son approche du documentaire est malsaine. D'autant plus qu'aucun discours ne peut prétendre à cette objectivité qu'il vise et que son texte n'a pas été écrit par un historien. Il s'attarde sur les éléments qu'il désire, il en omet d'autres, il les place dans sa propre chronologie et il impose un sens précis. Et les images ? On en oublierait presque de se poser la question de leurs origines. Si on part du principe que le cinéaste ne nous a jamais trompés (c'est-à-dire que lorsqu'il parle d'une bataille, d'une ville ou de soldat, les images montrées correspondent parfaitement à cette bataille, cette ville ou ces soldats), ce qui demanderait une vérification quasi impossible, il reste le problème de leur provenance.

D'où viennent des images d'archives de l'Allemagne, d'une France occupée, du Japon, de l'Italie en pleine guerre ? Forcément, en très grande partie d'actualités cinématographiques déjà au service de différentes idéologies, de films de propagande documentaires ou non. Le signale t-il ? Jamais. Et que fait-il ? Il les mélange et il enlève le son. Il ajoute sa voix de la même manière qu'un narrateur le faisait dans les films de propagande d'époque. Et de la musique. Et quelle musique ! Le synthétiseur de Vangelis ou une chanson de Jacques Brel. Tout à fait approprié cela va sans dire...

Et finalement, Rossif ne fait qu'une chose : utiliser les mêmes armes propagandistes pour son film que celles utilisées pendant la guerre autant par les alliés que par les nazis ou les fascistes. Des voix qui surplombent une rapide succession d'images sans jamais les laisser parler d'elles-mêmes. Une manière pernicieuse et vicieuse de leur donner un sens afin que le spectateur le gobe. Qu'il dise la vérité ou non n'importe dès lors plus puisque la forme qu'elle prend est celle de la manipulation des esprits.

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