Critique : L'Étranger en moi

Manon Provost | 17 novembre 2010
Manon Provost | 17 novembre 2010

Sujet d'actualité médiatisé, l'infanticide est une zone d'ombre, un tabou sociétal encore bien verrouillé. A priori, un thème sur lequel il est risqué de se pencher. Pourtant, c'est à cela que se frotte, sans détours mais avec tact, Emily Atef, qui signe avec L'étranger en moi son second long métrage, et non le moindre. 

Au commencement, il y a un homme et une femme, unis par l'être qui va naître. Mains délicatement posées sur le ventre rond en train de se dessiner, Rebecca (Suzanne Wolff) parle au corps absent, pourtant déjà présent, du presque-né. La lumière est chaude et rassurante, l'image pensée comme un cocon. Mais la délivrance de celui qui bouillonne à l'intérieur depuis neuf mois marque la fin du lien ombilical et corporel qui unit le nouveau-né à sa mère. Et l'expérience de la naissance peut s'avérer froide et brutale, se vivre comme une véritable déchirure. Et L'étranger en moi fait acte de cet état d'âme : le nouveau-né devenu étranger est celui qu'il faut fuir, l'objet d'un rejet inavouable.

Plaquées sur l'écran, une femme, sa faiblesse, sa tentative d'infanticide et la terreur d'avoir osé le passage à l'acte. Consciente de la menace qu'elle est pour l'enfant, Rebecca se sauve pour lui rendre la vie sauve. Une fuite pour une vie, la forêt comme salut, l'éloignement comme sacrifice. Franc et poignant, L'étranger en moi signe une image juste, censée et profonde. Emily Atef est incisive et prouve sa capacité d'aborder frontalement, mais avec douceur, une réalité aussi violente qu'inavouable. Avec une démarche à la fois délicate et efficace, Emily Atef joue sur le détail pour construire tout le cheminement dramatique et psychologique de ses personnages. Un geste à peine visible, un son tout juste audible, la violence qu'engendre le sujet est d'autant plus saisissante qu'elle est abordée avec sobriété. La force du film est aussi grande que l'infinité des gestes qui l'alimentent. Donnés au compte-gouttes et rattachés les uns aux autres, les éléments visuels et sonores construisent adroitement le squelette d'une femme meurtrie par son incapacité d'être mère. 

Exceptionnelle, Suzanne Wolff offre sans concession la moindre parcelle de peau, d'émotions et d'humain qui l'anime. Passant de l'amour au mépris, de celle qui donne la vie à celle qui la reprend, de l'hypothétique meurtrière à la mère repentie, la comédienne livre une Rebecca troublante, dont les multiples visages ont des pouvoirs cathartiques insoupçonnables. Tantôt insaisissable, tantôt émouvante, mais toujours « atrocement » humaine. Atrocement, oui. Car sans cesse en sourdine, L'étranger en moi crie qu'il s'agit d' « elle », mais qu' « elle » pourrait être l'un de nous.

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