Critique : Le Manteau

Sandy Gillet | 15 novembre 2010
Sandy Gillet | 15 novembre 2010

Beaucoup moins connu que ses contemporains (De Sica, Rossellini, Visconti...), Alberto Lattuada fait tout de même partie du gotha de cette génération qui a tant fait pour le cinéma italien.  Le manteau qui ressort ces jours-ci est là pour en témoigner. Réalisé en 1952, il s'inscrit en plein dans ce que l'on a appelé le néo-réalisme mais teinté ici d'une touche de fantastique qui annonce déjà l'onirisme révolutionnaire d'un Fellini. Adapté d'une très courte nouvelle de Gogol qui stigmatisait la bureaucratie tsariste du XIXème siècle, le film de Lattuada en reprend la trame et la thématique en la transposant dans les années 50 dans une ville du nord de l'Italie. L'histoire d'un employé subalterne de mairie qui doit remplacer son manteau usé jusqu'à la corde mais que ses pauvres moyens ne lui permettent pas de faire.

Carmine de Carmine est un homme qui ne semble plus rien attendre de la vie sinon d'effectuer son travail de petit scribouillard avec dextérité. Mais quand il se retrouve, bien malgré lui, dans le secret des dieux d'une administration corrompue, voici que l'on achète son silence et lui d'en profiter pour immédiatement remplacer son manteau par un nouveau richement taillé sur mesure. Renato Rascel, peu connu du grand public mais dont c'est ici le meilleur rôle, interprète avec un talent tout chaplinesque ce personnage à la fois tragique et loufoque. Et Lattuada d'en donner une résonnance kafkaïenne tout en faisant de son film une critique à charge d'une société vérolée par le haut et soumise par le bas.

Car ce manteau va permettre à Carmine d'accéder à quelque chose qu'il n'imaginait même pas, et ce le temps d'une soirée de célébration du nouvel an avec la « haute société » de son patelin. Une séquence que le réalisateur monte en alternant les plans de la rue où se masse une plèbe frigorifiée aimantée par ce qui se passe à l'étage tout illuminé d'une foule qui ripaille. Et c'est tout auréolé de ce nouveau statut social factice que Carmine se fait voler son manteau sur le chemin du retour. « Débarrassé » de ce qui symbolisait l'accomplissement d'une vie, il tente désespérément d'alerter les autorités compétentes qui ne l'écoutent point, puis sa hiérarchie en la personne du Maire lui-même qui l'éconduit avec toute la violence qui sied à la différence de classes.   

La fin, dont on ne déflorera point ici les détails, assume dès lors le fantastique évoqué plus haut tout en permettant cette part de rédemption dont sont friands le cinéma italien et la littérature russe de toutes les époques. Elle permet en tout cas au film de lui donner ce ton définitif de l'utopie désespérée comme pour bien appuyer là où cela fait définitivement mal. Le manteau se pare dès lors d'atours qui en font outre un film plus que recommandable mais surtout une caisse de résonnance à nos sociétés d'aujourd'hui où rien n'a changé sinon en pire.

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