Critique : L'Autre rive

Fermer les yeux pour ne plus voir la triste réalité du monde : tel est le triste sort de Tedo, jeune géorgien de 12 ans dont le strabisme extrêmement handicapant n'apparaît finalement que comme une façon de se protéger des horreurs du quotidien. Contraint de travailler dans un atelier de mécanique auto pour survivre, Tedo ne connaît pas son père et tente de sortir sa mère de l'enfer de la prostitution dans lequel elle est également tombée par obligation. Bienvenue en Géorgie, terre caucasienne victime dee conflits intérieurs qui ne récoltent que l'indifférence générale.

Pour son premier film, le réalisateur George Ovashvili réussit là un coup de maître puisqu'il propose un film à hauteur d'enfant mais sans complaisance aucune, comme si le jeune Tedo n'avait déjà plus aucune illusion mais qu'il décidait pourtant de continuer à en découdre avec la vie histoire de voir si elle peut éventuellement être moins décevante qu'au cours de ses douze premières années. L'autre rive résonne comme un lourd constat d'échec pour toute une génération de jeunes géorgiens qui auraient pu tirer profit de l'indépendance enfin acquise par le pays en 1991.

Ça pourrait être racoleur ou juste déprimant, c'est pourtant tout à fait passionnant par la façon qu'a Ovashvili de transcender des scènes potentiellement plombantes par une bande originale absolument magnifique et une fantaisie visuelle qui le ferait presque passer pour un petit cousin, plus poétique et moins bruyant, d'Emir Kusturica et Tony Gatlif. Si le regard de Tedo est à ce point dérangeant, ce n'est pas seulement parce qu'il est difficile de le croiser, mais également parce que malgré la pluie de malheur qui s'abat sur lui, il persiste à croire en un futur un peu moins pourri avec par exemple la rencontre hypothétique d'un père qu'il compte retrouver. Son parcours est aussi modeste que touchant, à l'image de ce film qui a fait chavirer tant de festivals avant d'arriver dans nos salles.