Critique : Ajami
On aurait tôt fait de classer Ajami comme un énième film choral, un Collision israélien, ce genre de comparaison ingrate et déplacée. Or le film de Scandar Copti et Yaron Shani va plus loin, bien plus loin que ce schéma archi rebattu consistant trop souvent à entrecroiser les points de vue pour complexifier artificiellement des situations sans réelle dimension. Si les réalisateurs choisissent d'adopter plusieurs regards, c'est parce que le décor de l'action l'impose. Ajami est un quartier de Jaffa, qui n'est pas véritablement une ville mais plutôt la partie sud de Tel-Aviv, et c'est surtout le carrefour le plus représentatif du brassage ethnique et surtout religieux qui anime et détruit Israël depuis tant d'années. Juifs, musulmans, chrétiens s'y mêlent avec différents degrés de tolérance et d'implication. Jaffa est un lieu magnifique en même temps qu'une terre de sang où se multiplient les évènements tragiques, plongeant ses habitants dans une spirale de malheur.
Le film commence de façon extrêmement frontale, dépeignant
sans fard l'horrible quotidien des habitants du quartier. Un ado répare
une roue sous le beau soleil d'Israël, la vie semble belle et paisible,
mais deux motards débarquent d'on ne sait où pour abattre le jeune
homme, qu'ils ont sans doute pris pour un autre. C'est une vie en
équilibre instable qui se trame sous nos yeux, ceci étant dû à une série
d'histoires de famille absolument idiotes, où l'on évoque l'honneur
familial pour s'adonner à une vendetta stupide et interminable qui ne
fait que renforcer encore l'importance de la loi de la jungle. À travers
les destins de quelques habitants du quartier, c'est cela que nous
montrent vraiment Copti et Shani : à quel point la vie, même construite
avec raison et ambitions nobles, ne tient qu'à un fil, dépendant
principalement des décisions d'une poignée d'esprits déviants ou faibles
qui prônent la violence et traînent derrière eux une fausse morale
assez détestable. La religion en prend notamment pour son grade, en
particulier au cours de cette séquence de simulacre de procès où la
disparition d'un proche récemment assassiné peut être compensée par une
forte somme d'argent, le tout au nom de Dieu.
L'atout principal d'Ajami est le rythme implacable avec
lequel il dessine les trajectoires de ses personnages, enfermés de force
dans un monde d'incertitude et de violence qui les pousse à subir ou à
créer leur propre loi - avec ce que cela comporte de risques. On sait
dès le début que tout finira mal, non pas à cause d'une quelconque
prévisibilité du scénario - ce qui n'est pas le cas -, mais parce que ce
jeune couple qui s'aime malgré des religions différentes, ce flic qui
recherche son frère, ce garçon qui imagine ses jours comptés parce qu'un
de ses aînés a buté le fils d'un clan influent, tous ces gens sont
voués à un échec cuisant sauf s'ils daignent envisager la seule solution
capable de les sauver : la fuite. Le terrible constat d'Ajami, échappant à tout
misérabilisme, en fait un film d'une vraie puissance que sa beauté
empêche de sombrer dans la dépression primaire.
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