Critique : Ajami

Thomas Messias | 7 avril 2010
Thomas Messias | 7 avril 2010

On aurait tôt fait de classer Ajami comme un énième film choral, un Collision israélien, ce genre de comparaison ingrate et déplacée. Or le film de Scandar Copti et Yaron Shani va plus loin, bien plus loin que ce schéma archi rebattu consistant trop souvent à entrecroiser les points de vue pour complexifier artificiellement des situations sans réelle dimension. Si les réalisateurs choisissent d'adopter plusieurs regards, c'est parce que le décor de l'action l'impose. Ajami est un quartier de Jaffa, qui n'est pas véritablement une ville mais plutôt la partie sud de Tel-Aviv, et c'est surtout le carrefour le plus représentatif du brassage ethnique et surtout religieux qui anime et détruit Israël depuis tant d'années. Juifs, musulmans, chrétiens s'y mêlent avec différents degrés de tolérance et d'implication. Jaffa est un lieu magnifique en même temps qu'une terre de sang où se multiplient les évènements tragiques, plongeant ses habitants dans une spirale de malheur.


Le film commence de façon extrêmement frontale, dépeignant sans fard l'horrible quotidien des habitants du quartier. Un ado répare une roue sous le beau soleil d'Israël, la vie semble belle et paisible, mais deux motards débarquent d'on ne sait où pour abattre le jeune homme, qu'ils ont sans doute pris pour un autre. C'est une vie en équilibre instable qui se trame sous nos yeux, ceci étant dû à une série d'histoires de famille absolument idiotes, où l'on évoque l'honneur familial pour s'adonner à une vendetta stupide et interminable qui ne fait que renforcer encore l'importance de la loi de la jungle. À travers les destins de quelques habitants du quartier, c'est cela que nous montrent vraiment Copti et Shani : à quel point la vie, même construite avec raison et ambitions nobles, ne tient qu'à un fil, dépendant principalement des décisions d'une poignée d'esprits déviants ou faibles qui prônent la violence et traînent derrière eux une fausse morale assez détestable. La religion en prend notamment pour son grade, en particulier au cours de cette séquence de simulacre de procès où la disparition d'un proche récemment assassiné peut être compensée par une forte somme d'argent, le tout au nom de Dieu.


L'atout principal d'Ajami est le rythme implacable avec lequel il dessine les trajectoires de ses personnages, enfermés de force dans un monde d'incertitude et de violence qui les pousse à subir ou à créer leur propre loi - avec ce que cela comporte de risques. On sait dès le début que tout finira mal, non pas à cause d'une quelconque prévisibilité du scénario - ce qui n'est pas le cas -, mais parce que ce jeune couple qui s'aime malgré des religions différentes, ce flic qui recherche son frère, ce garçon qui imagine ses jours comptés parce qu'un de ses aînés a buté le fils d'un clan influent, tous ces gens sont voués à un échec cuisant sauf s'ils daignent envisager la seule solution capable de les sauver : la fuite. Le terrible constat d'Ajami, échappant à tout misérabilisme, en fait un film d'une vraie puissance que sa beauté empêche de sombrer dans la dépression primaire.

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