Critique : Les Arrivants

Thomas Messias | 6 avril 2010
Thomas Messias | 6 avril 2010

Il y a dans Les arrivants ce terrible constat que rencontre tôt ou tard toute personne un peu impliquée dans son travail : nous ne sommes que des êtres humains, par des super-héros, et il est impossible de repousser éternellement nos limites. Et en prendre conscience est d'autant plus terrible lorsque son occupation consiste au quotidien à aider des gens, les protéger des attaques extérieures, les empêcher de s'enfoncer dans la misère et la précarité. Bienvenue dans les bureaux de la Coordination pour l'Accueil des Familles Demandeuses d'Asile, CAFDA pour les intimes, où une poignée d'hommes et de femmes - surtout de femmes - luttent âprement et quotidiennement pour s'assurer que des familles étrangères arrivées en France par inconscience ou par nécessité soit accueillies le mieux possibles et trouvent dans cette France rêvée le semblant de terre d'asile qu'elles sont venues chercher. Le documentaire de Claudine Borries & Patrice Chagnard s'intéresse autant aux arrivants du titre qu'à celles qui sont chargées de les réceptionner le mieux possible tout en leur faisant comprendre que l'hexagone n'est pas le pays des Bisounours, prêt à accueillir toute la misère du monde sans demander de contrepartie ou de signal sincère de détresse.


Les arrivants suit principalement deux femmes qui font le même métier mais s'en acquittent différemment. Comme une image double, et qui donne l'impression d'être exhaustive, de ce système social français complexe, mal fichu, mais pas dépourvu de coeur. Il y a d'abord Colette, vieille briscarde, dépassionnée mais toujours impliquée, qui a appris avec le temps à se détacher de la destinée de ces gens qu'elle voit défiler dans son bureau jour après jour. Sans le dire - pas de voix off ni de commentaires face caméra, la liberté documentaire est à ce prix -, on la sent résignée, toujours désireuse d'aider mais consciente que la plupart de ces gens-là survivront plus qu'ils ne vivront. La joyeuse pagaille dans laquelle elle travaille - dossiers difficiles à trouver, traductions approximatives, confusions - est révélatrice non pas d'une envie de négligence, mais d'une fatigue morale accumulée au fur et à mesure d'années de travail sans reconnaissance. Quoi de pire que de travailler d'arrache-pied sans savoir si, au final, les efforts auront porté leurs fruits ?


Et puis il y a Caroline, beaucoup plus jeune mais plus sûre d'elle en apparence, arrogante et agressive comme le serait une jeune militante humanitaire déjà consciente des limites de son action mais souhaitant se dépasser. Nul besoin pour les réalisateurs de la sanctifier : cette femme est admirable car n'hésitant pas à se faire harpie auprès de ses "protégés" si c'est le mieux qu'elle puisse faire pour eux. Résultat : image de tyran mais résultats convaincants. Comme Colette, mais de façon plus évidente, Caroline est une héroïne des temps modernes, qui prend sur son dos toute la détresse du monde et tente de faire comme si cela n'avait pas d'importance. Quand tombe le masque de froideur, Les arrivants n'est plus seulement édifiant et passionnant : il devient également bouleversant car il entre avec pudeur dans les failles de ces femmes dont la résistance n'est pas infinie. Quand Caroline, avec ses allures de machine sans ressenti, finit par craquer, c'est comme quand Colette montre des signes d'affection pour une famille de demandeurs particulièrement attachants et mal partis dans la vie : on vibre parce que ce mot générique et ingrat qu'est "administration" révèle pleinement son humanité.


Le dispositif est sobre, le propos jamais appuyé : Claudine Borries et Patrice Chagnard ont fait le choix salvateur de laisser s'exprimer par elles-mêmes les incompréhensions, les doutes, les coups de sang et les indignations qui s'emparent de ces employées dont personne, pas même leurs proches, ne pouvait imaginer l'intensité du quotidien. Et que chacun choisisse sa ou ses familles favorites, de ce couple mongol (ou pas ?) à cette jeune femme enceinte qui ne sait même plus d'où elle vient : tous ces gens-là ont une histoire, dont on ne connaît souvent ni le début ni la fin, à la manière de ce que le grand Raymond Depardon nous a régulièrement offert au cours de sa belle et impressionnante filmographie.

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