Critique : L'Encerclement
Un documentaire canadien de 2h40 sur le néolibéralisme, ça vous dit ? Non ? Vous avez tort. Car s'il est un film qui peut donner envie aux béotiens de s'intéresser à de telles thématiques, c'est bien celui de Richard Brouillette, qui s'inscrit dans une dynamique pédagogique mais pas didactique. L'encerclement raconte, en détail et sans détour, comment les grandes puissances sont parvenues à faire croire à l'ensemble de la société que le libéralisme et le capitalisme étaient ce dont nous avions forcément besoin, le seul moyen d'assurer la pérennité du monde. Le propos aurait pu être assommant, mais Brouillette sait y faire pour passionner les plus idiots d'entre nous.
La réussite du film tient à une poignée de partis pris
qui pourraient sembler anodins mais qui font réellement la différence.
Il y a d'abord ce chapitrage très détaillé, presque haché, qui pose des
titres simples pour amener des idées parfois complexes. Résultat : on
aura beau ne pas saisir une idée ou l'autre, décrocher légèrement du
raisonnement en trois étapes mené par tel ou tel intervenant,
Brouillette parvient sans cesse à nous raccrocher au wagon dès le
chapitre suivant, qui s'appuie certes sur ce qui précède mais le fait
avec simplicité, sans nous enfoncer la tête dans l'eau. On ne sort pas
nécessairement du film plus futé, ou alors juste un peu, mais L'encerclement aura au moins réussi à
nous donner l'impression d'être à peu près intelligents pendant ces
cent soixante minutes.
Autre idée simplissime mais qui montre à la
fois la modestie du réalisateur et son désir de ne pas influencer le
spectateur outre mesure : de l'économiste le plus réputé au professeur
de sciences de l'éducation, les spécialistes interrogés ne sont jamais
présentés par leur nom ou leur statut. Ce qui évite de se sentir écrasé
par des références (« ah, c'est lui
Noam Chomsky, pour être si connu il doit avoir raison ») et
permet de se sentir l'égal de ces débatteurs, qui font généralement
preuve d'une grande humilité dans leurs interventions. À tel point qu'on
a globalement l'impression d'aller prendre un pot avec un prof
d'université qu'on aime bien, et qui nous expliquerait autour d'un café
ou d'un demi la façon dont il envisage le monde néolibéral. Juste par
plaisir et pas pour nous préparer à un quelconque examen.
Il y a
beaucoup d'informations à mémoriser, et sans doute beaucoup trop pour un
seul visionnage, mais L'encerclement
donne en tout cas envie de réfléchir par soi-même ou pour soi-même,
d'ouvrir des livres et des journaux et de les lire vraiment au lieu de
faire semblant, d'aller farfouiller du côté de la théorie de la main
invisible pour vérifier que c'est une mauvaise chose, de s'intéresser de
près à la théorie du capital humain de Gary Baker, de rapprocher le
néolibéralisme du néocolonialisme, de se dire que décidément, la loi de
l'offre et la demande ne tient pas de bout... Le film de Brouillette
ouvre tout un tas de pistes de réflexion pour qui daigne se focaliser un
minimum sur un sujet potentiellement effrayant mais qui a tout pour
nous aider à devenir des citoyens moins cons.
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