Critique : Henry
Sans doute inspiré (hum) par le succès grandissant de ses compères Kervern et Delépine, Kafka - alias Francis Kuntz, qui retrouve son vieux pseudonyme de dessinateur de BD - s'est dit que lui aussi pouvait sans doute faire son film. "Faire son film" : une expression atrocement significative, qui semble indiquer que chacun a droit à son moment d'expression cinématographique, indépendamment de toute notion de talent ou d'à propos. Jean-Marie Bigard, BHL, Patrick Sébastien, Alexandre Jardin et tant d'autres ont cru un temps pouvoir se dire réalisateurs parce qu'ils arrivaient à faire marrer les gens le samedi soir ou à leur vendre quelques bouquins. Alors pourquoi pas Kafka - même avec tout le meilleur second degré du monde, difficile d'accepter que le patronyme de l'auteur du Procès soit repris par Kuntz.
Oui, pourquoi pas : c'est si simple de faire son film. Il
suffit de poser la caméra au milieu de n'importe quelle pièce et de se
filmer en train de proférer quelques horreurs anti-conformistes,
racistes, misogynes ou juste idiotes. Et si les gens ne rient pas, c'est
que ce sont des cons, des coincés, des saloperies de gens de droite qui
n'ont aucun recul sur leur propre condition. Le mépris de Henry,
personnage principal forcément interprété par Kafkuntz - voilà un juste
milieu satisfaisant -, semble rejaillir de tout le film et irradier un
spectateur rapidement exaspéré par ce qui se trame à l'écran. Qu'on
apprécie ou non l'humour façon Groland, qu'on soit choqué ou non par les
sketches répétitifs mais parfois bien vus que ce type à la mine
patibulaire distille chaque samedi soir, il est strictement impossible
d'apprécier une seule seconde cet Henry
ne ressemblant même pas à un brouillon de film. Mais peut-être à un
catalogue de sujets pouvant éventuellement choquer, au même titre qu'une
bonne blague sur les noirs en fin de banquet ou qu'un pet lâché dans un
bus bondé.
Ce qui pourrait - presque - sauver le film, c'est la
certitude absolue qui se lit sur le visage de Kafkuntz, persuadé de part
en part d'être le co-réalisateur - il fallait bien quatre mains pour
pondre un truc pareil - et le moteur principal d'un nouveau Dupont Lajoie, une nouvelle oeuvre
sur la médiocrité à la française et les facettes les plus méprisables de
la personne humaine. Jamais drôle, pas méchant étant donné qu'il donne
dans une provocation facile et absolument gratuite, Henry n'est pourtant rien de plus
qu'un chemin de croix consternant de médiocrité. Il n'est même pas
question d'art ici, ni même de divertissement, et l'on en vient à se
poser la fameuse question forcément poujadiste qui revient régulièrement
dans toutes les mauvaises discussions sur le cinéma : « mais qui peut bien donner du fric pour
financer un truc pareil ? ». Qu'on se rassure, le film n'a pas dû
coûter grand chose, la présence de Bruno Lochet ou Lucien Jean-Baptiste
- seuls rescapés de ce naufrage général - ayant certainement été
négociée à prix d'ami. On espère au moins qu'ils se sont amusés sur le
tournage.
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