Critique : Tête de Turc
Oublions son titre un peu facile : il y a dans Tête de turc suffisamment de belles promesses pour qu'on daigne en oublier les quelques défauts latents. Pour son premier film, l'acteur et scénariste Pascal Elbé montre une envie dévorante de fournir un cinéma capable de s'élever au-delà de la simple qualité France, par une exigence d'écriture et de mise en scène pouvant le distinguer de la masse. Ces efforts sont d'autant plus admirables qu'ils semblent encore un peu fragiles, comme si l'on assistait en direct à l'éclosion d'un cinéaste, encore un peu frêle pour assumer son indépendance mais si désireux de quitter sa coquille qu'on ne se fait aucun souci pour lui.
Ce
qui frappe d'abord, c'est l'ambition de cette mise en scène, qui évite
les travers du "film-banlieue" au gré d'un style choc mais pas toc,
comme un Iñárritu sans filtres et sans pose. Si Elbé inscrit son film
dans un réalisme latent, où les barres d'immeubles et les cages
d'escalier sont des paysages ordinaires, il ne s'enferme pas pour autant
dans un misérabilisme crasseux. Les petites gens aussi ont une
histoire, souvent plus intéressante que ce qui se trame dans certaines
cages dorées. Le réalisateur ne quittera jamais ce cap, faisant d'eux
des héros du quotidien au lieu de les transformer en simples victimes.
C'est que Tête de turc a
quelque chose à raconter, riche en enjeux et en conflits d'intérêt. S'il
tend à tomber parfois dans une formule "film à thèse" qu'il ne maîtrise
pas tout à fait, Elbé parvient à mener son récit tambour battant et à
faire vivre de façon tangible un bon nombre de protagonistes. Du médecin
amoché incarné par Elbé lui-même à la mère de famille digne et aimante
que magnifie Ronit Elkabetz, tous nous touchent de par leurs failles et
l'optimisme régulier (à défaut d'être permanent) dont ils parviennent à
faire preuve malgré les épreuves.
Malgré son sujet -
agressions injustifiées, intimidations et loi du plus fort -, Tête de turc ne sombre jamais dans le
défaitisme, montrant des personnages qui ne cesseront jamais de se
battre en dépit d'un certain découragement. Elbé réussit à aller à
l'encontre de l'esprit TF1 et, sans faire de la banlieue un havre de
paix, montre qu'elle n'est pas que le terrain de jeu d'une armée de
caïds prêts à tout pour faire régner leur loi. Sans angélisme, en
prenant garde à éviter la majorité des clichés inhérents au genre, il
livre un drame poignant par sa dignité, dont l'intrigue évolue à la
lisière du polar sans jamais y plonger totalement, et portée notamment
par le jeune et stupéfiant Samir Makhlouf, dont la tête de turc fait des
ravages.
Lecteurs
(0.0)