Critique : Femmes femmes

Nicolas Thys | 10 mars 2010
Nicolas Thys | 10 mars 2010

Réalisé en 1974, Femmes, femmes de Paul Vecchiali, n'est donc plus un film de la Nouvelle vague mais il est pourtant difficile de ne pas l'avoir en mémoire. La Nouvelle vague se caractérise d'abord par un hommage à des figures marquantes du cinéma, d'un cinéma qu'il s'agit de libérer de ses codes et de ses dogmes, d'un cinéma que les cinéastes doivent dépasser pour le renouveler, esthétiquement, formellement, narrativement.

Le film de Vecchiali ne cesse de rappeler une époque lointaine. La théâtralité du film et l'histoire de ces deux amies vieillissantes et vivant ensemble dans un même appartement, l'une blonde, l'autre brune, de ces « deux sœurs ou quelque chose comme ça » comme Surgère l'exprime, de ces deux actrices à la carrière mourante dont l'une ne peut plus sortir de chez elle et ne fait plus que boire mais uniquement du champagne, ne peut pas ne pas rappeler à un moment où un autre le film d'Aldrich : Qu'est-il arrivé à Baby Jane ? La folie est ici aussi totale et omniprésente même si le couple ne se déchire pas et qu'aucune affaire policière n'éclate. Admiré par Pasolini, Femmes femmes est aussi célèbre pour la reprise de la séquence des clowns dans Salo et les 120 jours de Sodome, séquence elle-même déjà inspirée du Convoi de femmes de William Wellman.

Pourtant il n'est nullement question d'Hollywood dans ce film. Les références, au contraire, vont vers un cinéma dont l'auteur raffole : le cinéma français des années 30. Carné, Prévert, Renoir. Le réalisme poétique. Un cinéma où les chansons sont souvent présentes, où le drame humain est sans cesse mis en scène. Un cinéma qui se réclame aussi souvent du théâtre, ce que n'oublie pas Vecchiali car le théâtre est partout. Sur les murs, dans le jeu des comédiennes, leur profession, dans leurs dialogues, elles qui déclament du Racine, dans l'espace aussi.

Tout ou presque se déroule dans un petit appartement aux lieux bien définis. Deux pièces, un cimetière au loin, signe d'un pessimisme inhérent au drame qui se joue. Parfois un escalier et l'appartement de dessous. Les intérieurs sont ceux de la scène et tout est en intérieur à l'exception d'une séquence dans la rue où un public de badauds s'attarde alors qu'elles semblent pour la première fois, réellement se mettre en scène. Comme si elles quittaient cette scène pour rejoindre la réalité et évoluer enfin dans le monde mais sans y parvenir car elles ne font que jouer. Elles descendent, brièvement, parmi les spectateurs et elles remontent aussitôt ; comme si le film ne faisait que naviguer dans l'espace mental d'une Hélène Surgère dont elle parviendrait à s'extraire un instant avant de sombrer à nouveau, définitivement.

Et, malgré cette proximité et cette promiscuité, la théâtralité de l'ensemble se révèle très cinématographique. Les mouvements de caméra sont amples et fluides, et l'ensemble, composé de plans séquences, rappelle à la fois le théâtre et le cinéma. Le théâtre par la capacité du réalisateur à capter le jeu des acteurs sans le morceler, et le cinéma avec ses possibilités de faire évoluer le spectateur, de l'insérer dans un lieu mouvant et de le brusquer avec quelques coupes parfois brutales, de l'interpeler et de le faire voyager. Le montage, très moderne, s'amuse souvent à intercaler des visages d'actrices anciennes et jeunes, comme les couvertures des Cinévie qui peinturent l'appartement, visages qui rappellent la gloire passée des deux femmes qui ne peuvent plus que faire semblant à grand coup de champagne, même pour consoler le souvenir de la perte d'un enfant, comme si on fêtait perpétuellement quelque chose de mort ou de disparu.

Les lumières, loin du lisse contrasté des photographies des studios Harcourt et plus proche du cinéma allemand des années 20 avec des teintes noires et blanches très marquées, rendent le film atemporel. Il semble avoir été tourné quelque part dans les années 30 ou 60 sans qu'on en soit sûr. Egalement marque de mort, le noir et blanc très cru finit de dégager une atmosphère macabre, comme si tout était fini, enterré, terminé. Les années 30 sont révolues, le film de Vecchiali est un souvenir, un ovni en 1.37 sans politique dans une époque politiquement marquée et où le cinéma ne jure plus en France que par la mise en image du monde et de l'autre côté de l'Atlantique par le spectacle, les grands formats et les effets spéciaux.

 

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