Critique : Tatarak

Nicolas Thys | 17 février 2010
Nicolas Thys | 17 février 2010

Voir Tatarak pour un spectateur français ne connaissant pas ou peu le cinéma d'Andrzej Wajda peut se révéler assez délicat. Ce film, peut-être le plus intime du cinéaste polonais, fait appel à de nombreuses références littéraires, cinématographiques ou tout simplement réelles mais incontournables pour apprécier le film dans toute sa complexité et sa beauté.

Tatarak est certainement l'un des plus beaux films de deuil jamais réalisé. De deuil, et non sur le deuil. C'est un film d'amour sur des amours mortes ou disparues, sur un impossible retour à la vie à travers plusieurs récits entrelacés qui nous plongent dans le documentaire, la fiction et dans un entre deux, comme si ces deux premiers mondes ne pouvaient que s'entrelacer afin d'en appeler un troisième au-delà de toute représentation.

Fiction car Tatarak est d'abord l'adaptation d'une nouvelle de l'auteur polonais Jarosław Iwaszkiewicz, l'un des plus grands écrivains du 20eme siècle et dont Wajda avait déjà adapté Le Bois de bouleaux et Les Demoiselles de Wilko, deux drames sentimentaux et intimes. Il est également inspiré d'une nouvelle de Sándor Márai, écrivain hongrois majeur. Dans ce récit, une femme, interprétée par Krystyna Janda, l'une des plus grandes actrices polonaise découverte par Wajda pour L'Homme de marbre en 1977, est hantée par la mort. Condamnée elle-même, elle ne parvient pas à faire le deuil de ses deux fils perdus pendant la guerre et elle se met à éprouver un amour pour un jeune homme qui aurait eu leur âge.

Documentaire car à la fiction, s'entremêlent de longs plans de l'actrice dans son propre rôle. Son époux, le chef opérateur Edward Klosinski, est décédé peu de temps auparavant et dans ces plans fixes et sombres, terriblement macabres et composés comme une toile d'Edward Hopper, elle revient, seule, sur la maladie de son ancien mari et sur sa mort. Elle parle, elle pleure presque, elle se meut comme elle peut dans le cadre et en dehors, sans jamais pouvoir sortir de ce piège cinématographique qui la rattrape.

Puis un entre deux car à ces deux premières dimensions s'ajoutent le tournage de Tatarak. Wajda apparait plusieurs fois expliquant à ses acteurs ce qu'il attend. Et il apparait aussi dans une séquence étrange où Krystyna Janda, mal à l'aise, s'enfuie du plateau obligeant le tournage à s'interrompre. Toutefois, loin de la laisser filer, on la suit courant jusqu'à un pont et partant en stop comme si une autre caméra, indépendante de celle du cinéaste se mettait à la suivre.

Le cinéaste tente de nous emmener dans un au-delà du cinéma qu'on retrouvera dans d'autres petites scènes oniriques rappelant que la mort n'est jamais loin. Quelques roseaux (tatarak en polonais), des canards sur une rivière qui semblent aller à reculons, un ballon dans la chambre des enfants morts, bleutés par la nuit, qui avance vers nous dans un silence enténébré doublé d'un léger ralenti. Des détails pour une ambiance d'une noirceur absolue qui ne font que trop penser à cette citation de Pascal : « L'homme est un roseau, le plus faible de la nature, mais c'est un roseau pensant. Il ne faut pas que l'univers entier s'arme pour l'écraser : une vapeur, une goutte d'eau suffit pour le tuer. » Mais chez Wajda, même les roseaux sont plus forts puisque l'homme est voué à la mort.

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