Critique : Le Chevalier des sables

Nicolas Thys | 16 février 2010
Nicolas Thys | 16 février 2010

En 1965, Vincente Minelli, cinéaste confirmé depuis déjà longtemps, s'entoure de quelques uns des plus grands noms du cinéma américain pour réaliser The Sandpiper, mélodrame à première vue assez banal qui raconte l'histoire d'amour impossible entre un pasteur plutôt ouvert (mais il reste un pasteur) et une femme abreuvée au transcendantalisme américain et qui défie les conventions sociales. La première impression est claire : ce film appartient à une autre époque,  de celle où une femme non mariée avec un enfant était révoltant, où la religion ne pouvait pas ne pas exister.

Et pourtant. Pourtant ce film est beaucoup plus profond qu'il n'y paraît. D'un point de vue cinématographique déjà. Difficile de ne pas y voir une résurgence, une réponse à Tout ce que le ciel permet de Douglas Sirk tourné à peine dix ans auparavant. Mais cette fois Elisabeth Taylor aurait le rôle de Rock Hudson et les conventions qui éclatent seraient le lot de Richard Burton.

Deux éléments pour affirmer cette idée. Un nom cité : Thoreau, philosophe américain du 19ème siècle, auteur de Walden et du concept de désobéissance civile, et dont l'influence sur toute la génération beatnik ainsi que le cinéma de Terrence Malick est primordiale. Dans les deux films il est au premier plan : la vie dans la nature et le retour aux sources est fondamental. L'idée d'une vie hors du cadre social strict régissant l'individu, de la société comme une prison, est centrale.

Ensuite, la couleur. Le film de Sirk, mis en couleur par Russell Metty, axait ses teintes sur un bleu et un orange accentué, laissant percevoir des nuances fines et intenses dans un jeu de rimes visuelles importants. Ces mêmes rimes rythment The Sandpiper, dont le chef opérateur, Milton Krasner, a repris certaines des composantes : le rouge intense des rideaux du bureau et celui de la robe d'Elisabeth Taylor, enflammée et séductrice presque malgré elle. Les teintes appellent à la consommation de l'acte ou à une froideur intense. Mais cette fois le gris entre en ligne de mire. Le gris c'est Richard Burton dont le costume va d'ailleurs se colorer à mesure que sa relation avec Taylor s'intensifie. C'est également le noir de son costume de pasteur et le blanc des tenues d'Eva Marie Saint.

Pourtant The Sandpiper n'est pas Tout ce que le ciel permet. Il est son versant pessimiste. Un rêve brisé, et Dalton Trumbo, le scénariste, le plus important des blacklistés d'Hollywood, s'en donne à coeur joie, défiant toutes les règles du code Hays pourtant encore en vigueur même s'il perd de sa puissance. Le premier plan de forêt est fondamental : c'est un meurtre. Une biche dont le rouge du sang, rouge moteur de passion mais de destruction, éclate sur le pelage. Cette biche qui passe derrière la fenêtre de la maison de Rock Hudson dans le film de Sirk, symbole d'amour absolu.

Et l'ensemble du film de Minelli, né de ce crime originel, ne pourra dès lors que sombrer. La violence qui s'y exerce contraste avec la douceur du film de Sirk. Le sexe est partout présent, crument, jamais nié ni caché. La statue du buste d'Elisabeth Taylor, dont un ancien amant regardera la poitrine et non le visage avant de la déshabiller sauvagement, en est une marque indéniable. Même le pasteur dira à sa femme qu'ils ont fait l'amour dans des motels. Et le couple adultérin mais libre, affranchi des conventions, retournera dans ce monde qu'il voulait renier. Taylor finalement se conformera, oubliera son beatnik de Charles Bronson. Le pasteur restera avec son épouse et l'enfant de Taylor, moteur du film, choisira de rester dans un pensionnat catholique.

Mais la morale est loin d'être sauve. Elle laisse derrière elle un goût amer et un sentiment de révolte ; un monde détruit, anéanti, dont la poésie s'essouffle. Elle laisse une impossibilité d'être et une idée que la société est plus forte que l'homme. Minelli n'est pas Sirk, c'est pourtant un cinéaste du rêve et de la couleur mais son film nous dit que le réel est le plus fort et que le gris ne peux que revenir. Nullement étonnant de la part de Dalton Trumbo, auteur du somptueux Johnny got his gun.

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