Shutter Island : critique

Sandy Gillet | 13 février 2010 - MAJ : 09/03/2021 15:58
Sandy Gillet | 13 février 2010 - MAJ : 09/03/2021 15:58

Depuis Les infiltrés, Marty a pas mal baroudé sans son ami Léo en réalisant un doc sur les Stones (Shine a light), un vieux rêve de gosse semble-t'il, et en produisant une série pour la chaîne du câble américaine HBO, Boardwalk Empire, que d'aucuns attendent avec une fébrilité contagieuse. C'est bien simple avec The Pacific (le pendant de Band of brothers dans le pacifique donc), c'est l'un des événements de l'année tous médias confondus. Pour autant Scorsese a tout de même retrouvé sa muse Caprio le temps d'un nouveau film que l'on aurait du découvrir depuis novembre. Déprogrammé en fait par Paramount quasi à la dernière minute pour une sortie en février, interdisant de fait à Scorsese et Caprio de concourir aux Oscars, Shutter Island a apparemment subi la crise du studio à la montagne étoilée qui n'avait donc plus de sous pour assurer proprement le lancement du film, préférant attendre les budgets ad hoc de la nouvelle année civile.

L'attente qui était donc à son comble en fin d'année dernière est pour le coup un peu retombée, faisant de cette nouvelle adaptation d'un roman de Dennis Lehane (après Gone baby gone et Mystic River) un produit cinématographique plus anodin et rentré dans le rang. À l'image au demeurant d'un bouquin et de son auteur qui laissent à penser que tout est dorénavant voulu et rédigé en vue de l'immanquable adaptation cinématographique.

De fait, c'est une évidence, Lehane a écrit Shuuter Island en pensant séquences, découpages et rythmes cinématographiques, tel une sorte de pré-scénario, appauvrissant inexorablement son style qui laisse de moins en moins la part belle à l'imagination du lecteur. Piège dans lequel Scorsese et sa scénariste Laeta Kalogridis (première collaboration ensemble), à qui l'on doit les scripts d'Alexandre d'Oliver Stone et de Pathfinder de Marcus Nispel (ok dit comme cela c'est vrai que ça peut faire peur), ne sont paradoxalement pas tombés.

 

photo, Leonardo DiCaprio, Mark Ruffalo

 

Si ensemble ils prennent bien en main le spectateur depuis le début avec l'arrivé des deux policiers fédéraux sur l'île, c'est pour mieux lui rendre sa liberté de jugement ensuite, nous laissant seul nous débattre avec le personnage joué par Caprio, Marshal de son état et vétéran de la Seconde guerre mondiale en proie à de violentes hallucinations post traumatiques depuis son arrivée sur l'île (il a été le témoin de la libération d'un camp de concentration et il a perdu sa femme, morte dans un incendie criminelle). L'enquête en elle-même (une patiente a disparu de sa chambre-cellule réputée inviolable et reste introuvable) ne devient rapidement qu'un simple prétexte pour montrer la mise à nu d'un homme que la venue sur cette île va porter à son paroxysme. C'est bien ici que se situe toute la force du film. Dans cette propension à montrer la lente érosion des certitudes, l'indicible perte des repères, la douloureuse quête de la vérité...

 

photo, Leonardo DiCaprio, Michelle Williams

 

On pense bien évidemment à Shock Corridor de Sieur Fuller qui en matière de perte des sens en milieu psychiatrique est un bijou que Scorsese ne tente pas d'imiter, juste de s'en inspirer. Pour cela il fait preuve de beaucoup d'humilité dans sa mise en scène, ne cherchant pas les effets coup de poing à la mode qui pouvaient coller dans Les Infiltrés mais seulement l'exposition d'un récit somme toute assez linéaire via un montage frontal et des axes de caméra à l'efficacité hollywoodienne éprouvée. La seconde force du film tient dans cette propension fausse de premier degré qui s'effrite dès la fin de la projection comme si réveillé d'un songe, nous prenions conscience de la supercherie et découvrir que Scorsese aime toujours autant s'amuser de son public.

 

photo, Leonardo DiCaprio, Mark Ruffalo

 

Il est toutefois freiné dans cette quête obsessionnelle par un Leonardo DiCaprio toujours aussi emprunté quand il s'agit de jouer pour Scorsese. L'acteur au visage éternellement poupon et aux expressions lacunaires ne pouvait convenir pour interpréter cet homme qui a vécu l'enfer de la guerre et la tragédie domestique. Seule la magnifique et toute dernière séquence permet d'appréhender ce que le personnage aurait pu et du être : une sorte de Dorian Gray contemporain inexorablement bouffé de l'intérieur. Si Scorsese avait réussit cela sur les 2h que durent le film, il aurait sans doute réalisé là son énième chef-d'œuvre.  

 

Affiche française

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