Critique : Padre Nuestro
New York, terre d'asile. C'est en tout cas ce que pensent Juan et Pedro, deux mexicanos qui tentent leur chance en prenant leur billet - clandestin - pour la Grosse Pomme. Et c'est parti pour un énième drame de l'immigration ? Non : sur cette base très à la mode, Padre nuestro tisse un récit ne cherchant pas à tirer vers le documentaire, mais s'en éloignant au contraire pour mieux explorer une intrigue à la lisière du polar. S'il s'agit encore et toujours d'identité, c'est à travers une histoire d'usurpation que tout ceci se joue. Car Juan pique la place de Pedro, parti pour les States rejoindre un père qu'il n'a jamais vu. De cette inversion naît une intéressante double quête : l'un cherche à asseoir sa place auprès d'un géniteur qui n'est pas le sien et qui, de toute façon, n'a guère envie de s'impliquer ; l'autre tente de retrouver la place qui est la sienne, mais se perd aussi bien géographiquement que mentalement dans cette ville qu'il découvre...
Le
traitement proposé par Christopher Zalla va dans le même sens que le
scénario, à l'encontre de cette ennuyeuse tendance qu'ont les
réalisateurs indépendants à traiter n'importe quel sujet sur le mode
docu-fiction. Lui opte pour une noirceur bienvenue, stylisant sans
excès les bas-fonds new yorkais. Sans oublier une dose d'humour légère
mais oxygénante. Livré à lui-même, illettré, moyennement débrouillard,
Pedro ne trouve comme appui que celui d'une jeune femme pour laquelle
il craquerait bien si elle n'était aussi vénale que junkie. Un
personnage qui pourrait être plombant si son interprète, Paola Mendoza,
n'avait pas autant de peps et de chien. Et l'on repense au Mike Leigh
du fabuleux Naked, dans lequel les paumés avaient toujours droit à leur grain de folie. Mais Padre nuestro
est cependant loin de faire dans la gaudriole, dispensant une série de
scènes d'un glauque assumé comme celle où Pedro et sa compagne
d'errance acceptent de copuler devant voyeur pour quelques poignées de
dollars. La mise en scène, réaliste mais pas complaisante, fait le
reste et impressionne.
Avant de sombrer - un peu trop - dans le polar, Padre nuestro
aura savamment démonté le fameux rêve américain. Le plus fort symbole
de cette désillusion collective est sans doute le personnage du père,
plongeur depuis trente ans alors qu'il s'imaginait et se racontait
patron de grand restaurant. Contraint d'aligner les jobs précaires pour
pouvoir continuer à vivre dans un taudis, il fabrique des fleurs en
papier entre deux séances de picole. Mais ne rentrerait au pays pour
rien au monde. L'herbe semble toujours plus verte ailleurs, et avouer
qu'on a pu faire erreur s'apparenterait à faire de sa vie un total
échec. La tournure "film noir" prise par le film en fin de course est
d'autant plus dommageable qu'elle tend à gâcher un peu ce magnifique
portrait d'un homme qui survit plus qu'il ne vit, et dont la génération
qui suit s'apprête à reproduire les erreurs.
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